Vers des algorithmes de service public
La massification des données et le développement d’algorithmes posent de nouvelles questions sur la fabrique de l’opinion et sur les choix d’informations et de services des organisations publiques.
Le service public s’effectue de plus en plus grâce à la structuration des données que les usagers confient.
Bien sûr, les services publics se redessinent en tirant parti de l’analyse des données que citoyens et usagers leur confient, sans trop se poser de questions sur la façon dont elles vont être traitées. De fait, de plus en plus la mission de service public s’effectue par et travers la structuration de ces données. Par fonction et par obligation sensibles aux usages, attentes et inquiétudes des citoyens/usagers et conscients du manque d’information sur ce sujet, les responsables de communication des institutions publiques considèrent la médiation et la pédagogie sur la transparence des algorithmes comme une mission de service public à part entière et comme la condition d’une transformation numérique durable.
Il faut, à chaque recueil de données, expliquer la façon dont le logiciel va les trier, les organiser et dans quel but.
Éduquer, instruire, informer sur le numérique en général et les algorithmes en particulier, c’est dès le plus jeune âge qu’on doit prendre le temps de sensibiliser à la question du traitement des données, d’expliquer le statut de ces traces numériques que nous laissons dans toutes nos activités sur la toile et l’utilisation qui en est faite, en particulier par les administrations et les institutions publiques. Cet effort de vulgarisation, quel que soit le contexte culturel et social dans lequel s’inscrivent les citoyens/usagers – les non-initiés comme les citoyens veilleurs – est d’ailleurs un droit inscrit à l’article 10 de la loi Informatique et Libertés : « Aucune autre décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l’intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité ». La loi pour une République numérique est venue renforcer la transparence des algorithmes utilisés par les administrations. Elle prévoit que les administrations, quand elles mettent en œuvre un traitement algorithmique aboutissant à une décision individuelle, doivent en informer les personnes concernées et leur permettre d’obtenir communication de certaines informations pour comprendre le fonctionnement de l’algorithme.
La médiation et la pédagogie sur la transparence des algorithmes doivent être considérées comme une mission de service public à part entière.
Faute de pédagogie générale, le risque est de voir les citoyens/usagers se méfier, nourrir la rumeur, voire tenir le logiciel comme complice d’un complot contre leurs droits et libertés. Dans la méfiance, la défiance, la dénonciation voire le rejet qui s’expriment à l’encontre des logiciels, c’est bien la confiance dans le service public qui est en jeu. Oui, il faut expliquer les principes de calcul, les procédures destinées à garantir l’égalité de traitement, à empêcher le favoritisme, les malversations (un logiciel de détection de fraude c’est le moyen d’une meilleure utilisation de l’argent public, de financer de nouvelles prestations), à réduire l’arbitraire (tirage au sort, APB). Oui, il faut, à chaque recueil de données, expliquer ce qui sera extrait de ces données.
Les communicants des institutions publiques doivent s’affirmer comme les garants de ces démarches dont ils ne sont ni les seuls ni les principaux acteurs.
Car, à la différence du secteur marchand qui a longtemps – pour des raisons concurrentielles – protégé l’opacité de ses algorithmes, les institutions publiques ont plutôt intérêt à exposer précisément, dans chaque cas, la façon dont le logiciel va trier et organiser les données, et dans quel but. Les organisations sont plus proches des citoyens quand elles explicitent l’ensemble de la chaîne du traitement de données, communiquent sur les critères de sélection et d’attribution à l’œuvre dans le logiciel, sur les priorités accordées, les pondérations opérées… Dans une logique de service public, on doit expliquer dans chaque administration comment le service est ainsi mieux rendu, quelle facilité, rapidité, fluidité il permet. On peut mettre en relief les nouveaux services d’accompagnement et de prise en charge rendus possibles par l’intervention de méthodes algorithmiques. Il faut insister sur le bénéfice réel de l’usager : l’automatisation dégage du temps pour des agents au contact des populations, un temps d’accompagnement individualisé, d’appréciation fine de cas particulier. Bref un temps de préservation concrète du lien social. Cette nouvelle pratique publique des algorithmes est aussi une éthique qui a des conséquences sur les missions et pratiques de communication publique. Elle implique une nouvelle répartition des rôles : tous les agents au contact des publics deviennent des passeurs entre informaticiens et administrés, des médiateurs entre le technicien, l’expert et l’usager, des veilleurs et des relais chargés de faire connaître en retour l’horizon d’attente, les incompréhensions, les interrogations des utilisateurs des services. C’est dire que l’impératif de communication doit remonter la chaîne de production des algorithmes qui doivent être conçus dans un souci de transparence et de pédagogie afin de rendre la décision de la machine traçable et compréhensible par quiconque. À l’heure où le règlement européen sur la protection qui sera en application en mai 2018 impose le Privacy by design et le Privacy by default, le Communication by design devrait en être le corollaire indispensable.
L’automatisation dégage du temps de contact avec l’usager, d’accompagnement individualisé, d’appréciation fine de cas particulier, de préservation concrète du lien social.
Pour permettre une appropriation, une confiance dans les outils publics numériques, l’appel à l’intelligence collective, à la co-construction et à la co-création de ces outils s’imposera sans doute. Les communicants doivent s’affirmer comme les garants de ces démarches dont ils ne sont ni les seuls ni même les principaux acteurs. Dans ce contexte, le communicant serait un relais, membre d’une cellule qui, dans chaque organisation publique, prendrait en compte la question des données, de leur collecte, de leur traitement, un facilitateur, un animateur et un pédagogue dans un monde où l’intelligence collective serait au service de tous.