Une question d’adhérence
Yves Charmont, délégué général Cap’Com
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici
La remise en question de la parole publique dans un contexte de défiance sanitaire n’est pas un fait nouveau. Ce qui l’est plus, c’est sa convergence avec un fond diffus mêlant scepticisme, entre-soi et sentiment de relégation. Pour éviter la sortie de route, il est nécessaire d’adapter sa conduite et d’écouter les conseils de chercheurs et de professionnels entendus dans les échanges du réseau.
La modification des réactions et les pertes d’efficacité obligent à réagir.
Nous attendions sans doute un monde nouveau, ressoudé par la pandémie, plus durable, plus citoyen. Et c’est un univers morcelé et méfiant qui advint. C’est le repli qui l’emporte, comme le montre l’enquête « Le cœur des Français1 » de Harris Interactive pour Challenges : liberté, famille, santé et amis forment un ensemble de valeurs plus individualiste et plus tourné vers l’intimité au détriment de la confiance et de l’intérêt collectif. Dans les différentes branches de la communication publique, la modification des réactions et les pertes d’efficacité obligent à réagir. On peut se tourner vers les modèles de la communication de crise, parce que la situation donne l’impression de déraper. Et cela peut effectivement se passer vite : la liaison (le lien) est rompue par une fine couche de liquide (le doute), et c’est la perte d’adhérence /adhésion.
Santé publique, médias et experts au défi
Mais ce fake-planning (ou infox-planage) n’est sans doute qu’un symptôme. Il est intéressant de prendre du recul pour se souvenir que le triangle gouvernement/autorités sanitaires/citoyens a été formé et animé depuis longtemps. La communication publique est même historiquement liée à de grandes actions de santé publique (contre la tuberculose, puis l’alcool, le tabac etc.). Pour Caroline Ollivier-Yaniv de l’université Paris-est Créteil, c’en est même « un instrument non-autoritaire qui vise la construction de bonnes pratiques de santé, individuelles ou collectives (…) par la symbolique ».
Cependant, on l’oublie trop souvent, ce tableau a déjà été terni : Tchernobyl, vache folle, sang contaminé, amiante… Caroline Ollivier-Yaniv écrivait en 20152 : « la santé publique n’a cessé d’être publiquement mise en cause, au travers de controverses qui mettent en question les rapports entre action publique, responsabilité politique, expertise biomédicale, intérêts économiques et capacité d’influence du secteur pharmaceutique - désigné de manière familière et péjorative comme le Big Pharma ». Même ce dernier terme n’est pas une nouveauté !
La crise des Gilets jaunes et la violence exprimée à l’encontre des médias ont révélé une profonde défiance.
Ce qui est plus récent et qui s’accompagne d’une méfiance citoyenne - celle qui interroge la relation démocratique et qui est sensible aux thèses complotistes - c’est une prise de distance avec les institutions et, plus surprenant, avec la presse ou avec les experts. Une dégradation graduelle qui a pris forme avec les Gilet jaunes en 2018, mais qui, pour certains, était déjà palpable lors de la « Journée de retrait de l’école » en 2013. Cela a surtout concerné les quartiers sensibles et peu intéressé les spécialistes. Pourtant, Fatima Khemilat3 y voit « une forme de défiance quant aux capacités de l’école à tenir les promesses ». Revenons en 2018, Pauline Amiel, universitaire spécialiste de la presse4 y note, elle, « [une] suspicion envers les journalistes [qui] ne cesse d’augmenter. La crise des Gilets jaunes et la violence exprimée à l’encontre des médias ont révélé une profonde défiance. » Quant aux experts, Pascal Nicolle, président de DébatLab, confie : « avant de mettre le public en présence d’un expert, j’explique avec soin pourquoi il est là, son intérêt, sa contribution au projet. Il est désormais nécessaire de dédramatiser son arrivée et de crédibiliser ses connaissances ». Les intervenants, il faut les préparer, car « la posture de l’expert à l’ancienne, c’est la garantie de se faire ramasser » ajoute-t-il.
Confusion générale
La rencontre du doute (sur la science), la perte de confiance et la prise de distance citoyenne provoquent surtout de la confusion, ou plutôt des confusions, pour reprendre une partie de l’inventaire de Guillaume Lecointre5 :
- confusion entre temps des sciences, des médias et des réseaux sociaux ;
- confusion entre égalité du droit à la parole et égalité de légitimité ;
- confusion entre valeurs et faits ;
- confusion entre savoirs, croyances et opinions ;
- confusion collectif-individuel.
Pour illustrer ce constat, il n’aura suffi que d’une réunion publique, dans une métropole, comme le raconte la nouvelle dircab, que nous appellerons Anna : « Pour ce projet de rénovation d’un centre urbain, nous n’avions jusque-là que des procédures en distanciel. Avec le retour au présentiel, nous avons fait salle comble cet été pour la réunion de présentation du plan d’action. Nous avions un déroulé, des contenus, des élus (maire, vice-président), un animateur… Mais cela ne s’est pas passé comme prévu, le maire n’a pas pu finir d’exposer son plan, il a été coupé par un habitant en colère, avec des mots durs. D’autres lui ont répondu. Il y a eu confrontation de tous les points de vue : des extrêmes, des modérés, des gens des collectifs, dans une totale libération de la parole. Au final, cela a été plus un échange qu’une présentation ».
Les citoyens, s'ils se sentent d’avantage légitimes et aussi d’avantage écoutés, peuvent être de véritables partenaires dans la quête de la confiance.
Les citoyens, s'ils se sentent d’avantage légitimes et aussi d’avantage écoutés, peuvent être de véritables partenaires dans la quête de la confiance. L’enquête « Le coeur des Français »1 montre qu’ils placent côte à côte les citoyens et les collectivités territoriales comme contributeurs de progrès du pays, alors que les responsables politiques et l’administration sont en bas de tableau, contributeurs de déclin. Ce résultat, très significatif, tendrait à démontrer qu’un espace de confiance peut être (re)construit dans la proximité, avec une communication par la preuve, comme avec le festival des solutions écologiques de la région Bourgogne-Franche-Comté ou la dé-construction des stéréotypes de genre dans le département de l’Aude. Mais cela peut ne pas être suffisant si le sens global n’est pas perceptible. Au Service d’information du gouvernement, c’est une stratégie mêlant incarnation et territoires qui a été choisie en septembre pour rendre tangible et concret le plan France relance. La délocalisation de la communication est en route !
Un espace de confiance peut être (re)construit dans la proximité, avec une communication par la preuve.
Accrocher au terrain
Mais ces routes de campagne n’en restent pas moins glissantes. Après ce travail de transparence, ancré localement, à l’écoute des interrogations sincères, il reste un levier important décrit par Caroline Ollivier-Yaniv : « Il n’y a pas d’autres solutions que d’expliquer par la communication, mais aussi par l’éducation. Un travail sur le temps long et qui dépend de plusieurs institutions ». Elle est, en cela, rejointe par Pauline Amiel 6 : « enfin mettre en place une vraie éducation aux médias, pour tous » et par le réseau de la communicants publique et territoriale qui pense pédagogie, inclusion et qui voit la fonction communication comme une médiation. Ce que résume finalement assez bien la formule : « il faut de vrais gens qui parlent comme de vrais gens7».
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1 - https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-coeur-des-francais/#rapport
2 - Caroline Ollivier-Yaniv - La communication publique sanitaire à l’épreuve des controverses - Dans Hermès, La Revue 2015/3 (n° 73), pages 69 à 80
3 - Les Journées de retrait de l’école : une mobilisation très relative des musulmans de France. Entretien avec Fatima Khemilat, réalisé par Fanny Gallot, et Gaël Pasquier. Dans Cahiers du Genre 2018/2 (n° 65), pages 41 à 57.
4 - Pauline Amiel - Le journalisme de solution - PUG - mars 2020.
5 - Guillaume Lecointre, chercheur au Musée national d’histoire naturelle, dans Cahier de tendances 2021 chez L’Aube, Défiance scientifique, page 56.
6 - Pauline Amiel - Aider la presse à lutter contre le virus des fake news - PUG - mai 2020
7 - Daniel Kaplan in « On ne peut pas créer de la confiance en formalisant tout » - article de la revue Influencia hors-série La Conversation - 2013 »