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Réseaux sociaux et science, terrain fertile pour la communication d’influence ?

PAROLE PUBLIQUE juin 2024

Jocelyn Munoz, directeur général associé, Deep Opinion

Jocelyn Munoz
Directeur général associé, Deep Opinion.

Article publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n° 31 de juin 2024 à découvrir ici

 

Vaccins, nucléaire, Linky, 5G, OGM ou négation que la Terre soit ronde : on ne manque pas d’occasion de prendre conscience que les faits scientifiques ont parfois du mal à se frayer un chemin sur les réseaux sociaux. Le COVID a évidemment été un moment clé dans ce virage opéré sur les réseaux sociaux.

Pourtant, un groupe (florissant) d’irréductibles est convaincu que la science a toute sa place sur les réseaux sociaux. Qui sont ces influenceurs qui parviennent à s’imposer dans le monde des trolls et des fake news ? Sont-ils, d’ailleurs, des armes anti-fake news ? Ont-ils raison d’y croire ? Quelles sont les compétences requises pour percer le mur du son ? Questions auxquelles nous allons tenter de répondre ici.

Lorsque l’on pense sciences et réseaux sociaux, ce n’est malheureusement pas forcément l’action des influenceurs scientifiques qui vient à l’esprit en premier. Pour comprendre et mesurer l’importance d’actions de communication digitale d’influence sur le sujet, il convient d’éclairer d’abord la façon dont les (dés)informations se propagent en ligne. Le premier élément essentiel quant à la propagation de fausses informations, scientifiques ou autres, est que les algorithmes des principaux réseaux sociaux sont profondément populistes : ils nous donnent à voir, dans un laps de temps très court, ce qu’on aime, ce qui nous réconforte, ce qui fait mouche afin de nous maintenir le plus longtemps possible sur leurs plateformes. Une étude du MIT montre qu’une fausse information se propage en moyenne six fois plus vite sur les réseaux sociaux qu’une information vérifiée.

Les algorithmes des principaux réseaux sociaux sont profondément populistes. Une fausse information se propage six fois plus vite sur les réseaux sociaux qu’une information vérifiée.

Bref, les fake news prospèrent sans trop d’effort en ligne. Car la viralité naturelle des fausses informations convient parfaitement à un socle de Français qui n’ont plus confiance en la parole publique ni en nos institutions. Ils trouvent en ligne des communautés qui leur apportent un discours confortant leurs opinions quand les enjeux scientifiques sont souvent complexes. Il faut lire sur le sujet le livre du militant internet américain Eli Pariser : The Filtre Bubble : what the internet is hiding from you (Penguin Press 2011).

S’ajoute le contexte international avec une présence digitale russe sans précédent constatée dans nos veilles, notamment sur les sujets énergétiques ou médicaux. Regardez la superbe série britannique The Underclared War qui expose parfaitement comment un acteur mal intentionné, en l’occurrence un État, peut mettre en œuvre une stratégie d’influence particulièrement efficace sur les réseaux sociaux. Il en va de même pour La Fièvre, la dernière série d’Eric Benzekri qui s’intéresse précisément à la circulation de l’information en ligne.

Les fake news prospèrent car leur viralité naturelle convient parfaitement au socle de Français qui n’ont plus confiance en la parole publique ni en nos institutions.

Si la vérité scientifique peine donc à trouver sa place sur les réseaux sociaux, la cause n’est pourtant pas totalement perdue. Car nombreux sont les exemples de personnalités ou d’influenceurs qui parviennent à allier réseaux sociaux et vulgarisation. Je ne pense pas ici à Michèle Laroque, qui en mars 2020 recommandait d’utiliser des huiles essentielles pour « soulager les bronches » et « éliminer » le virus, mais plutôt à Jamy Gourmaud, idole de mon enfance avec son émission C’est pas sorcier, qui parvient à parler de sciences à des millions d’abonnés sur YouTube, TikTok ou LinkedIn. Les exemples de réussites d’influenceurs français sont nombreux : Florence Porcel, notamment, a naguère ouvert la voie en parlant d’astronomie comme personne sur YouTube et Twitter ; aujourd’hui, sur TikTok, Léo Grasset de la chaîne DirtyBiology, fait également un excellent travail de vulgarisation. Point commun de ces 3 influenceurs ? Ils ont compris à 100 % les codes des réseaux sociaux et sont des vulgarisateurs hors pair.

Dans un autre registre, Le Bon Pote nous livre des résumés des rapports du GIEC qui cumulent des dizaines de milliers d’engagements. Sans même parler d’Hugo Clément dont la notoriété dépasse très largement la sphère des réseaux sociaux. D’autres journalistes sont aussi bien présents sur le terrain scientifique, à l’image de la célèbre et parfois controversée Emmanuelle Ducros de L’Opinion. Mentionnons enfin Jean-Marc Jancovinci qui réalise un travail considérable pour donner sa place à la science sur les réseaux sociaux (mais pas que) : ses posts LinkedIn (plus de 1,1 million d’abonnés !) sur le sujet de l’énergie ne manquent pas de faire réagir. Rares sont ceux capables d’expliquer en quelques phrases les différentes méthodes de production d’hydrogène ou encore d’expliquer de manière synthétique les tenants et aboutissants de l’impact des différents modes de transport en France.

Si l’on devait analyser les sphères d’influence de tous ceux que je viens de nommer, c’est avant tout le caractère militant qui est à noter : ils ne vulgarisent pas pour vulgariser, ils souhaitent peser dans le débat. Et ils sont souvent plus transparents sur leurs sources d’information et de revenus. C’est une différence appréciable car il est souvent difficile de savoir si les influenceurs scientifiques s’informent grâce à des contacts avec les différents instituts de recherche ou s’ils se contentent, comme les journalistes, de lire et de repartager des rapports scientifiques.

Des passionnés de la rationalité scientifique parviennent à mobiliser, par leur compréhension des codes des réseaux sociaux et par un engagement militant qui donne envie de croire en la science.

Si l’on devait tirer un seul enseignement de tous les débats scientifiques qu’on peut trouver sur les réseaux sociaux, ce serait que les Français restent profondément passionnés et intéressés par les enjeux scientifiques. Certes ni les algorithmes ni l’atmosphère ne sont du côté de la rationalité scientifique, mais des passionnés parviennent à mobiliser, que ce soit par une excellente compréhension des codes des réseaux sociaux ou encore par un engagement militant qui donne envie de croire en la science. C’est d’ailleurs l’engagement continu des scientifiques, des influenceurs mais aussi des journalistes qui est essentiel pour cultiver une société bien informée et résiliente face aux défis de la désinformation.