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Pour une gestion de crise plus efficiente

PAROLE PUBLIQUE nov. 2020 Réseau

Un grand retex collectif des acteurs publics locaux, permettant de garder une trace de ce récit de la gestion de crise.

Karine Garcin-Escobar
Directrice générale des services de la Grande-Motte, Association des administrateurs territoriaux de France (AATF).

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°27 de novembre 2020 à découvrir ici.

L’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), qui regroupe les hauts fonctionnaires des collectivités territoriales, a souhaité pouvoir réaliser un grand retex1 collectif des acteurs publics locaux, permettant de garder une trace de ce récit de la gestion de crise, d’identifier les mécanismes mis en œuvre, mais aussi identifier les bonnes pratiques, les éléments de bilan, les pistes d’amélioration et les recommandations qui en découlent.

Force est de constater que cette crise aura été un formidable révélateur des forces et faiblesses de nos organisations. L’analyse de la réaction des acteurs publics est une aide pour penser les mécanismes de demain, dans la gestion de crise et plus globalement dans la réponse aux grands défis qui nous attendent.

Ce travail, mené au cours des mois de mai et de juin avec le soutien des élèves administrateurs territoriaux de l’inet (promotions Abbé Pierre et George Sand) sous le pilotage d’Amaury Brandalise, Karine Garcin-Escobar et Gwenaël Leblong-Masclet, s’appuie sur l’expérience vécue des membres de l’association, sur l’analyse des premiers éléments de bilan, mais surtout sur un questionnaire soumis à plus d’une cinquantaine de collectivités.

L’AATF y investigue notamment 3 questions majeures : le rôle des acteurs publics face à la crise sanitaire qui témoigne d’une gouvernance territoriale bousculée ; l’adaptation du fonctionnement des services publics locaux qui illustre l’excellente agilité des collectivités ; l’adaptation de la gestion des ressources qui donne à voir la résilience des organisations publiques locales en temps de crise.

Ce retex permet de dégager de grandes tendances, de mettre en exergue des illustrations territoriales inspirantes et innovantes, d’identifier les points de vigilance et d’en tirer des recommandations structurantes pour l’avenir en particulier sur les relations État / collectivités territoriales en gestion de crise.

I – Les relations entre les collectivités et l’État : des coopérations perfectibles et le ressenti d’un déficit de coordination

Nuance au caractère globalement optimiste de ce retex, la relation avec l’État est apparue complexe, pour ne pas dire compliquée. Les retours exprimés par les collectivités témoignent du sentiment d’écart très net entre l’agilité des collectivités locales et le fonctionnement très processuel de l’État local. À l’aune des non-réponses souvent apportées par les ARS, le processus d’agencification ne semble pas avoir atténué ce sentiment. Le modèle du « préfet empêché », du service déconcentré en attente d’instructions ministérielles descendantes qui ne viennent pas, ou pire d’instructions incomprises ou inapplicables, témoignent également de ce sentiment.

Trois dimensions ressortent de manière prégnante :

  • Les défauts de la coordination dans la gestion de crise : dans la période, les collectivités ont vécu, en interne, une forte contraction des processus et des temps décisionnels, permettant de disposer d’arbitrage quasi immédiats. La « cellule de crise », réunissant l’exécutif, les principaux élus et les cadres dirigeants, a été le symbole de cet aplatissement des relations hiérarchiques classiques, au profit d’une forte réactivité.
  • Un rapport à la norme qui mériterait d’être clarifié : face à l’asymétrie informationnelle, dans un contexte évolutif, quelle bonne décision prendre ? À Mettre en cohérence le confort ce titre, le recours de l’État au soft law, par la voie de protocoles ou de recommandations, est un champ de recherche encore à explorer.
  • Cet affaiblissement du pouvoir normatif soulève néanmoins la question des responsabilités qui en découlent, pas tant sur le plan strictement pénal que dans un rapport à la médiatisation de la responsabilité susceptible de nuire au bon fonctionnement de la démocratie locale.

La crise démontre donc s’il en était besoin la complexité des relations avec l’État. Tout ceci plaide pour une meilleure organisation de la gestion des crises en France. Elle implique de dépasser les approches centre-périphérie, pour s’interroger sur les modalités de coordinations interinstitutionnelles, permettant de rechercher l’alignement stratégique des acteurs, tout en accentuant l’autonomie de décision des acteurs locaux.

Il semble que cet appel ait été d’ores et déjà été entendu et on peut se réjouir des nouvelles approches et interactions entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales ces dernières semaines. Ainsi, on a vu ici ou là une réglementation sur le port du masque ou sur les regroupements et évènements musicaux différenciée selon les territoires et leur situation sanitaire.

II – Les relations entre les collectivités territoriales : la prédominance d’une logique « d’union sacrée » avec le souci commun de protéger le territoire.

La crise a également mis en évidence les multiples points de croisement entre les collectivités et leur capacité à agir ensemble pour l’intérêt commun. Ces relations s’opèrent tant au niveau des exécutifs qu’entre cadres des administrations locales. Les organisations (associations d’élus et professionnelles) comme les relations plus informelles ont été particulièrement mobilisées.

Le modèle territorial issu de la loi NOTRe a pu être perçu comme favorable aux articulations (chefs de filât) mais aussi parfois comme un frein, notamment sur le soutien à l’économie ou dans le champ sanitaire. De fait, certaines collectivités ont pu être tentées de s’en affranchir pour agir en urgence pour leur territoire.

À noter également une collaboration aussi spontanée qu’inattendue entre les collectivités et la société civile marquée par les solidarités de proximité. Au regard des multiples initiatives privées médiatisées pendant la crise, nous avons pu mesurer à quel point les collectivités avaient pu entrer en résonance avec ces initiatives, les soutenir, voire les susciter. La majorité des collectivités ont déclaré avoir engagé des dialogues avec les entreprises et les associations de leur territoire : un rôle d’« ensemblier » s'est alors fait jour.

III – Les nécessaires prises en compte des spécificités locales : nos 10 propositions pour le monde d’après

Un retour d’expérience est vain s'il ne permet pas de tirer des leçons permettant de renforcer la capacité de résilience collective et d’accompagner la gestion des crises de demain, dans une logique d’amélioration continue. L'AATF formule 10 propositions afin d'alimenter le débat public et adapter l'action publique, développer une culture commune au sein des 3 versants de la fonction publique.

L’AATF souhaite de cette manière contribuer à penser le monde d’après autour de 3 axes :

  • Accompagner les transitions institutionnelles pour renforcer l’efficacité de la décentralisation « à la française » : avec des collectivités territoriales pleinement considérées par l‘État comme des partenaires, ce dont il faudra tenir compte dans la future loi 3D et un Préfet davantage positionné en chef d'orchestre des administrations déconcentrées de l'État !
  • Accompagner les transitions économiques et sociales indispensables à la solidification du vivre-ensemble : réversibilité des espaces, pérennisation des circuits-courts, réduction des inégalités, généralisation des dispositifs de protection des populations vulnérables sont autant de bonnes pratiques issues des collectivités ensemblières. À noter nos 20 propositions d’actions concrètes pour la relance, publiées dès le mois de mai.
  • Accompagner les transitions numériques au profit des politiques publiques (sociales, éducatives, économiques…) et du management de nos organisations.

La crise doit par exemple nous amener à positionner les collectivités territoriales en partenaires de l’État, au profit d'un nouveau « Pacte girondin » entre État et collectivités. Entendons-nous, il ne s'agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit mais nous appelons à réaffirmer le rôle de coordinateur du Préfet sur les administrations déconcentrées de l’État et en période de crise et à repenser un cadre normatif qui assume clairement la différenciation territoriale.

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1 - L’étude complète sur le site de l’AATF : https://www.administrateursterritoriaux.asso.fr/contenu/uploads/2020/06/200626_AATF_Retour_Gestion_Crise_V5.pdf