Les Haras nationaux
Un bicentenaire pour entrer dans l’éternité des marques.
Article publié dans le dossier « Anniversaires : mémoires d’avenir ? » coordonné par Philippe Deracourt et Bernard Wallon.
g« Nous fêtons ce soir un patrimoine vivant de l’État français » déclamait le ministre de l’agriculture et de la pêche, au haras national du Pin le 22 septembre 2006, en ouverture de la célébration du bicentenaire des Haras nationaux. « Le cheval jalonne notre histoire nationale. Il a accompagné le soldat français dans ses conquêtes, le paysan dans ses travaux et il accompagne aujourd’hui le citoyen dans ses loisirs, créant une valeur économique et culturelle essentielle à nos territoires »1. Ce premier bicentenaire qui sera suivi de trois autres, à Cluny en 2007, à Montier-en-Der en 2008, à Rodez en 2009, a accompagné la mise en œuvre d’un contrat d’objectifs dont la vocation était de doter l’institution créée par Colbert de nouvelles missions en lien avec son époque.
Pour les Haras, l’heure était venue de réfléchir à de nouvelles valeurs, de construire une nouvelle organisation pour assumer de nouvelles missions.
Cette commémoration, qui visait à renforcer la cohésion sociale d’un établissement chahuté par une réforme organisationnelle et questionné à l’externe par des publics dubitatifs, a constitué un événement notoire de communication. Pourtant, le 1er février 2010, l’IFCE, l’Institut français du cheval et de l’équitation, était créé par la fusion de deux établissements publics, les Haras nationaux et l’École nationale d’équitation-Cadre noir de Saumur2, projetant définitivement l’institution colbertienne au panthéon des patrimoines immatériels. Ce qui était un des enjeux des commémorations du bicentenaire des Haras…
La création de l’Institut français du cheval et de l’équitation en 2010 a sonné la fin des bicentenaires des Haras nationaux. Car l’objectif avait été clairement d’organiser un bicentenaire pour communiquer : la commémoration devait porter des messages vers les quelques 1 200 agents de l’établissement alors en souffrance en raison de réformes successives mal vécues. L’occasion saisie, la refondation de l’institution des Haras par Napoléon en 1806 après son abolition en 1790, était une opportunité pour renouer les fils d’un récit historique longtemps prestigieux en raison de la place occupée par le cheval dans la société jusqu’au début du XXe siècle mais devenu chaotique à partir des années 70/80. L’État hésitait entre différents scénarios d’avenir. En 1999, il opta finalement pour la transformation de l’ancien service des Haras nationaux du ministère de l’agriculture en établissement public administratif3. Un contrat d’objectifs 2004-2008 ambitieux visait à réformer l’institution de fond en comble, installant en interne une ambiance sombre et en externe un climat d’incertitude parmi les éleveurs, professionnels et collectivités.
Un bicentenaire pour communiquer, pour fédérer les énergies et renforcer la cohésion sociale d’un établissement chahuté par une réforme organisationnelle et questionné à l’externe par des publics dubitatifs.
« Dans un monde en mutation, écrivait Emmanuelle Bour4, directrice générale (2004-2007), les services publics doivent évoluer pour répondre aux attentes des citoyens. Pour les Haras, l’heure était venue de réfléchir à de nouvelles valeurs et de construire une nouvelle organisation pour assumer de nouvelles missions ». Défendue devant le comité exécutif de l’établissement, après consultation de responsables sur le terrain, la commémoration se proposait de donner un éclairage sur le passé afin de mieux discerner l’avenir à travers un récit cohérent, qui raconterait sous forme de tableaux équestres costumés et commentés, les différentes évolutions de l’institution au fil des siècles, en miroir des usages et du rôle du cheval dans la société. L’organisation de l’événement emporta une immédiate adhésion des personnels qui mobilisèrent leurs savoir-faire et leurs partenaires locaux avec l’appui d’un professionnel du spectacle équestre, Mario Luraschi. L’histoire nationale de l’institution, racontée quatre fois dans quatre territoires différents, s’est enrichie des particularités locales d’une filière équine impliquée dans la narration et la mise en œuvre du spectacle équestre, renouant ainsi des liens de confiance en interne comme en externe sur les valeurs de l’établissement, les compétences et les savoir-faire de ses personnels.
Les chiffres des quatre bicentenaires célébrés parlent d’eux-mêmes : 4 représentations, 90 chevaux, 120 participants, 7 partenaires, 5 000 spectateurs, 15 000 visiteurs au haras national du Pin en 2006 ; 4 représentations, 80 chevaux, 100 figurants, 10 partenaires, 6 800 spectateurs, 1 500 visiteurs et 200 scolaires au haras national de Cluny en 2007 ; 3 représentations, 80 chevaux, 80 participants, 22 partenaires, 3 800 spectateurs, 1 000 visiteurs et 1 500 scolaires au haras national de Montier-en-Der en 2008 ; 3 représentations, 90 chevaux, 120 participants, 25 partenaires, 5 200 spectateurs au haras national de Rodez en 2009…
L’histoire nationale de l’institution racontée quatre fois dans quatre territoires différents, l’occasion de célébrer un patrimoine local qui compte.
François Roche-Bruyn, directeur général (2007-2009) pouvait ainsi écrire5 : « Les bicentenaires tels que nous les proposons depuis 2006 sont des événements marquants tant pour les Haras nationaux, que pour nos partenaires en région. En interne, un bicentenaire permet à toutes nos équipes, celle du site concerné mais aussi celles des régions avoisinantes, de travailler ensemble autour d’un projet commun. C’est une action qui rassemble et qui fédère les énergies. Cela crée une formidable dynamique. En externe, le bicentenaire est l’occasion pour tout un territoire de célébrer un patrimoine local qui compte. Fêter son haras national devient pour les collectivités l’occasion parfois d’en redécouvrir l’importance dans son histoire locale. Pour tous les professionnels de la filière cheval, c’est aussi l’occasion de promouvoir leurs activités. Nous avons dans nos missions celles de valoriser le patrimoine équestre. Le spectacle équestre est un vecteur efficace pour faire découvrir le cheval au grand public. À tous égards donc, nos bicentenaires sont des occasions précieuses de mettre en valeur notre image auprès de nos partenaires et du grand public ».
En 2010, la création de l’Institut français du cheval et de l’équitation sonnait la fin des bicentenaires des Haras nationaux. « Que toutes les équipes des Haras nationaux soient remerciées pour avoir su créer de tels événements qui auront marqué leurs territoires et la mémoire de notre établissement »6 saluait Nicole Blanc, dernière directrice générale des Haras nationaux (2009-2010). Le nouvel établissement, recentré sur des missions de service public, a obtenu la qualification d’institut technique agricole en 20187, devenant ainsi institut de recherche appliquée sur l’ensemble des champs et thématiques de la filière équine. Les anciennes stations de monte et dépôts d’étalons, témoins de l’activité historique d’étalonnage ont été restituées, cédées ou vendues aux collectivités ou au secteur privé. Les agents ont accompagné l’évolution en changeant de métier ou en quittant l’établissement.
Les commémorations, en racontant l’histoire, en nourrissant la mémoire, ont forgé la marque Haras nationaux et ancré sa valeur au-delà des évolutions institutionnelles.
Mais les commémorations du bicentenaire, en racontant l’histoire, en nourrissant la mémoire, avaient forgé la marque Haras nationaux et ancré sa valeur au-delà des évolutions institutionnelles : composante de la marque de l’IFCE, constitutive de son identité, elle figure dans le logo du nouvel établissement. Aujourd’hui, le site internet institutionnel de l’IFCE8 précise bien que « les marques stratégiques “Haras nationaux” et “Cadre noir”, aux métiers complémentaires dans une fonction de connaissance de cheval et de la transmission du patrimoine et des savoirs, ont un rôle décisif à jouer en matière de promotion et de diffusion des compétences économiques et techniques dans l’univers du cheval, en France et à l’étranger ». La ferveur engagée et produite en interne et en externe, lors de l’organisation de chaque bicentenaire entre 2006 et 2009, y est sûrement pour quelque chose…
1 – agriculture.gouv.fr, 26 septembre 2006
2 – Décision du deuxième conseil de modernisation des politiques publiques, 4 avril 2008
3 – Décret du 22 janvier 2010
4 – Document de référence pour la mise en œuvre de la démarche de mutation culturelle et organisationnelle, volume 1 (juillet 2003-juillet 2004), IFCE
5 – Haras hebdo 118, lettre interne 27 octobre-7 novembre 2008
6 – Haras hebdo, n° spécial, 16 décembre 2009.
7 – La qualification d’institut technique agricole (ITA) a été accordée à l’Ifce par arrêté ministériel du 8 février 2018.
8 – ifce.fr/ifce/decouvrir-institut les-marques/les-haras-nationaux/