La communication privée demeure une référence
Dominique Bessières, Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université Rennes 2.
Article paru avec l’aimable autorisation de Brief dans le magazine Brief, septembre 2018
Propos recueillis par Antoine Gazeau
Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rennes 2, fondateur et responsable du master de communication de Sciences Po Lille, administrateur de Communication publique, Dominique Bessières consacre ses recherches aux communications organisationnelles dans les contextes publics.
Dominique Bessières signe le chapitre consacré à la communication publique dans l’ouvrage Communication, paru avant l’été. Il y évoque la professionnalisation du secteur, ses spécificités par rapport au privé, etc.
Dans quelles mesures la communication publique a-t-elle été influencée par la communication privée ?
La seconde a précédé » la première. La communication d’entreprise a été plus précocement utilisée à des fins de gestion au service de poursuite d’objectifs de rentabilité. Elle est aussi devenue un outil de management dès les années 1960 en France – plus tôt dans les pays anglo-saxons, et les premiers services d’information et de communication sont ensuite nés pour renforcer la légitimité des dirigeants, dans un contexte de contestation post-1968. À ce tableau s’ajoutait une certaine présomption d’efficacité d’un modèle de communication qui a fait ses preuves en tant que moyen de conditionnement. Alors, quand la communication est apparue dans le secteur public dans les années 1970, pour exploser dans les années 1980, nous avons pu analyser un processus d’imitation/adaptation vis-à-vis de la communication d’entreprise. Laquelle continue d’être une référence à certains égards, souvent montrée en modèle à suivre par la presse professionnelle, par certains dirigeants et communicateurs.
quels signes note-t-on qu’elle s’en est toutefois vite démarquée ?
L’adoption de techniques de communication déjà largement utilisées par les entreprises repose sur une « institutionnalisation référentielle » suivant une logique d’imitation/adaptation. Mais c’est aussi à compter des années 1980 que le modèle de communication d’entreprise a été critiqué dans le champ public. En pointant que la communication publicitaire était trop coûteuse d’une part, trop simplificatrice de la complexité du service public d’autre part. Le simplisme de la communication commerciale et publicitaire est posé comme contradictoire au caractère public. Une telle communication très instrumentalisée peut desservir le secteur public fait de complexités, de contradictions, d’arbitrages. C’est en particulier la vison défendue par le conseiller d’État Pierre Zémor, qui a fondé l’association professionnelle Communication publique en 1989.
Les communications publiques et privées sont de toute façon intrinsèquement différentes…
De fait, la communication publique relève généralement du monopole de compétences de l’institution publique, chargée d’appliquer et de mettre en œuvre le droit, à la différence de l’entreprise concurrentielle. Les contraintes de gestion publique -le droit (la loir du 15 janvier 1990, le Code des marchés publics), la concertation avec un représentant politique (élu, ministre, dirigeant nommé par le politique), la mission de veiller à l’intérêt général – différencient fondamentalement les organisations publiques des organisations privées. Et puis il y a les principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique, qui expliquent en grande partie le caractère impersonnel de la communication diffusée par l’administration : tout se passe comme s’ils étaient contradictoires avec les cibles de catégorie socioprofessionnelles précises, la segmentation des communications commerciales.
Est-il, dans ce contexte, urgent de mieux mesurer l’efficacité des stratégies de communication des institutions ?
La question est simple, mais la réponse complexe. La communication est souvent perçue comme non directement productive, rendant son évaluation difficile. La communication publique est généralement moins ciblée au motif de l’intérêt général, de l’étendue des mesures publiques touchant de larges catégories de population, relevant de découpages de compétences administratives générales. Techniquement, les évaluations peuvent donc apparaître plus complexes que pour les entreprises qui ont pour juge de paix final la sanction du marché, à savoir les ventes. À cela s’ajoute un constat : les volontés évaluatrices peuvent entrer en opposition avec la légitimité politique du pouvoir exécutif représentatif, décideur des actions et comptable de leur communication. L’urgence d’une évaluation ne semble donc pas correspondre à toues les communications publiques. Dans certains cas, elle est surtout d’ordre qualitatif (ex : l’image globale d’une institution). Au niveau des collectivités territoriales, nous avons pu mesurer que la question de l’efficacité ou de l’inefficacité de la communication orientée vers le territoire local, sorte de marché captif, ne la remet pas en cause. Du reste, certains auteurs estiment qu’il n’existe pas de savoirs stabilisés en matière d’évaluation des politiques publiques : on comprend que la perspective est encore plus ardue pour leurs actions de communication.
Devons-nous en conclure qu’il est surtout souvent urgent d’attendre ?
J’ai fait le constat dans un article universitaire daté de 2010 que les évaluations systématiques des actions de communication sont encore peu présentes dans le secteur public. Un rapport public de 2017 sur l’édition publique et l’information administrative le point toujours. Force est de constater que l’urgence de l’évaluation ne concerne que certaines institutions, finalement plutôt minoritaires. Rares sont les évaluations systématiques, même s’il existe des cas d’organisations publiques plutôt exemplaires en la matière.
Avez-vous un exemple en tête ?
La Direction de l’information légale et administrative (Dila), où il existe des indicateurs d’activité, quantifiés ou non. Des indicateurs mensuels donnent par exemple le nombre de communiqués de presse avec le montant des équivalences publicitaires qu’ils pourraient représenter, le nombre de connexions sur les sites Web, les hausses et les baisses sur les réseaux sociaux, etc. Après , comme le rappelle le dircom de la Dila, il y a des actions inquantifiables, comme la Fête de la musique, mais qui doivent être indiquées. Certains communicateurs publics sont bien conscients de l’importance de présenter, par l’évaluation, la communication comme une activité de management et d’efficacité dans un équilibre à trouver entre les indicateurs de résultats et de coûts.
À lire les pages que vous signez dans « Communication », les mouvements de professionnalisation de la communication publique ne seraient pas encore à leur apogée…
Je m’intéresse à eux depuis ma thèse de doctorat. Effectivement, ce qui est fascinant, c’est qu’il s’agit d’un processus constant depuis les années 1980, un continuum qui concourt au renforcement du champ professionnel des communicateurs publics. Et il est réalisé par plusieurs générations et plusieurs catégories d’acteurs (communicateurs publics, associations professionnelles, État, universitaires, etc.) ! Les référentiels des métiers de la communication publique dans les trois fonctions publiques (étatique, territoriale, hospitalière) remontent en outre à seulement une dizaine d’années. Les fonctions de community manager, parce que très récentes, y sont par exemple assez mal et peu intégrées. Mais globalement, ces activités de communication peuvent apparaître plus normées et précisées par des formations spécialisées, des officialisations des compétences requises pour exercer ces fonctions.
Elles restent quand même très diverses dans les différentes organisations…
La définition du « professionnel » ne vas pas de soi. La reconnaissance semble d’abord fonctionnelle au sein des organisations, puis professionnelle vis-à-vis d’autres groupes sociaux (pouvoir politique et institutionnel, autres directeurs et professionnels de l’organisation, journalistes, conseils). La communication institutionnelle publique tend à devenir une discipline entendue comme la conjonction de savoirs professionnels et universitaires labellisant un secteur professionnel. L’action sociale de la reconnaissance universitaire permet d’acquérir, en particulier, des connaissances académiques qui cessent d’être seulement empiriques. Ceci contribue à définir le champ des savoirs techniques et conceptuels de la communication publiques. Au total, cette dernière demeure un secteur professionnel en construction depuis les années 1980. Elle est plus officialise, dotée de budgets spécifiques. Même le ministère de l’Enseignement supérieur a créé récemment une rubrique « communication politique et publique » pour classer des licences et des masters dédiés. Mais la question se pose de savoir sous quelle forme cette activité pourra être exercée à l’avenir.
Quelle évolution prédisez-vous justement ?
D’ores et déjà, les techniques ont impacté fortement certains pans de la communication publique. Les relations presse ont ainsi beaucoup évolué. Longtemps, la « cote » de ces professionnels pouvait être mesurée à l’aune de leurs carnets d’adresses personnellement connus. Aujourd’hui, il faut travailler avec les blogueurs et non plus seulement avec des journalistes. Les évolutions technologiques et numériques ont aussi déjà considérablement modifié les conditions, les modalités et les usages de l’accueil dans les organismes publics, qui étaient centraux dans les années 1980-1990.
Les développements du numérique auront aussi un impact important…
Oui. Les enquêtes du Credoc indiquent que les équipements et les usages progressent dans le service public, où par exemple deux tiers des Français disent réaliser des démarches administratives numériquement, ce qui est supérieur aux usages du commerce en ligne. Mais près d’un Français sur cinq en est encore exclu. La fracture numérique persiste ! C’est un important problème d’égalité d’accès aux services publics, d’autant que la numérisation de l’État va se poursuivre. Les procédures de consultations numériques sont enfin à observer. Elles pourraient être utiles comme sources d’information et d’expertises, comme outils démocratique dans les processus de projets ou de textes publics pour constater les consensus et les dissensus. Ce sont, au final, des questions d’aujourd’hui et de demain pour lesquelles nous avons encore peu de réponses. On parle d’ailleurs plus globalement de la difficulté de la « transition numérique » dans le public… mais aussi dans le privé.