De la communication à la conversation
30 ans de communications publiques, 30 ans d’innovations, d’expérimentations, de leçons prises et comprises. La communication des institutions n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle était à ses balbutiements, sa professionnalisation est un fait indiscutable, et sa conversion à la révolution digitale n’est pas plus contestable.
30 ans de communications publiques, 30 ans d’innovations, d’expérimentations, de leçons prises et comprises. La communication des institutions n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle était à ses balbutiements, sa professionnalisation est un fait indiscutable, et sa conversion à la révolution digitale n’est pas plus contestable. Pourtant, face à ces progrès s’oppose un constat qui semble implacable : le sentiment que les institutions publiques ont de plus en plus de mal à se faire entendre et comprendre, qu’une méfiance généralisée pèse sur la communication publique. Quoiqu’omniprésent dans le débat public, ce constat est à nuancer. Les collectivités locales et en particulier les communes sont largement épargnées, comme l’a montré l’étude d’Occurrence pour Communication publique1, les campagnes d’intérêt général affichent de très belles réussites, comme le souligne Éric Zajdermann dans ce numéro2, et récemment une réforme à fort impact sur les contribuables, le prélèvement à la source, a été portée sans heurt par une communication d’accompagnement efficace.
Reste que dans sa dimension nationale, quand elle émane de l’État et du gouvernement, la communication publique est entachée du sceau du soupçon, en particulier lorsqu’elle porte sur les sujets économiques et sociaux3, mais également sur les sujets environnementaux. Pour beaucoup d’observateurs, la crise de l’incendie de l’usine Lubrisol de Rouen a semblé confirmer le constat d’une remise en cause de la parole des experts, sources des communications officielles consécutives à l’incendie. Comme l’ont montré les travaux de France Stratégie4, c’est un peu plus compliqué que cela. C’est l’appropriation de l’expertise par les autorités qui est en cause, et non l’expertise elle-même.
Comme solution à cette situation, qui est un défi majeur pour la communication des institutions, France Stratégie préconise entre autres de sortir de la confrontation experts/citoyens pour multiplier les interactions entre ces deux sources de légitimité. Cette perspective n’est pas très éloignée de celle proposée par le Grand Débat en réponse au mouvement des Gilets Jaunes : substituer à une protestation qui a réveillé le spectre des foules dangereuses une discussion faisant le pari de la capacité de compréhension et de proposition des citoyens. Mais est-on vraiment allé au bout de l’exercice ? Les communicants sont en général en première ligne de ces opérations de consultations ou de concertations, mais sont-ils en situation d’aller au bout des démarches d’engagement des citoyens ? L’étude internationale The Leader’s Report5 de Kantar et WPP montre qu’il y a des freins, et pas des moindres, à la consultation.
71 % des communicants interrogés pensent que les citoyens s’attendent à avoir plus d’influence que cela n’est réellement possible.
Indéniablement, la volonté existe – 80 % des communicants interrogés sont convaincus qu’impliquer les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques est un gage de leur future acceptation – ainsi que la pratique : 78 % ont enclenché des actions de concertation en 2018, allant au-devant d’une attente des citoyens. Les ¾ des Français pensent que le gouvernement devrait encourager ce type de participation. Cependant cette conviction qu’il faut en passer par là semble nuancée par quelques inquiétudes. 71 % des communicants interrogés pensent que les citoyens s’attendent à avoir plus d’influence que cela n’est réellement possible. En écho, ils expriment aussi des inquiétudes sur le traitement à réserver aux remontées jugées irréalistes. À ces interrogations personnelles, qui témoignent d’une forme de méfiance, exercée cette fois à l’encontre des citoyens, s’ajoutent des doutes plus structurels sur les capacités de leurs organisations à vraiment jouer le jeu. 61 % des communicants interrogés estiment que les démarches de consultation n’ont de sens que si les organisations s’engagent à agir en fonction de ce que disent les citoyens, mais ils sont deux fois moins nombreux (33 %) à constater de tels engagements. 54 % estiment que les organisations publiques devraient être obligées d’agir selon les conclusions des consultations, même lorsque ces conclusions s’avèrent contraires à ce que l’organisation espérait, mais 28 % estiment que c’est le cas. Cette résistance se reflète dans la restitution que font les communicants de leurs actions de concertation. Les ¾ en ont mis en oeuvre, mais moins d’un sur 10 estime que cela a abouti à donner aux citoyens un véritable pouvoir de décision.
Ces constats invitent à reconsidérer le climat de défiance qui pèse sur la communication publique. La défiance ne s’exerce pas que des gouvernés à l’égard des gouvernants, elle caractérise aussi le regard que les décideurs portent sur les citoyens et leur capacité à faire les bons choix et à formuler des propositions pertinentes. Corollaire logique, seuls 15 % des citoyens français estiment que lorsqu’ils partagent des idées et des opinions sur un sujet, le gouvernement en tient compte pour prendre sa décision. Ainsi se nourrit la défiance réciproque. 27 % des Français font confiance à leurs gouvernants. C’est peu, dirons-nous. Mais que penser du fait qu’ils sont encore moins nombreux, 21 %, pour juger que le gouvernement fait confiance aux citoyens comme eux ?
Ces chiffres sont issus d’une étude Kantar de 2018, qui a permis l’élaboration d’un modèle d’engagement citoyen, autour de 10 dimensions (modèle 10C). Les trois dernières dimensions portent précisément sur les conditions de réussite d’une démarche de consultation menée jusqu’au bout : la « capacitation » qui consiste à mettre les citoyens en situation de se prononcer sur les politiques publiques et de leur reconnaître cette capacité, la « contribution » qui invite à coconstruire avec les citoyens, et la « considération » qui exige de reconnaître la valeur de cette contribution.
27 % des Français font confiance à leurs gouvernants. C’est peu, dirons-nous. Mais que penser du fait qu’ils sont encore moins nombreux, 21 %, pour juger que le gouvernement fait confiance aux citoyens comme eux ?
Articuler verticalité et horizontalité est un défi complexe pour les dirigeants, et puisque la tendance à la verticalité leur est plus innée, c’est aux communicants de leur apprendre l’usage de l’horizontalité. Cela fait sans doute au moins 30 ans que l’on sait que la communication publique ne doit plus être exclusivement descendante, et il faudra peut-être encore 30 ans pour aboutir à ce qu’elle se fasse véritablement dans les deux sens, sous la forme d’une conversation ou chacun se respecte. Parcourir ce chemin suppose de résoudre un petit paradoxe : pour devenir les rouages efficaces d’une communication horizontale performante, les Dircom doivent encore gravir quelques échelons dans la chaîne de décision de leurs organisations.
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1 – Parole publique n°9, juillet 2015
2 – L’heure de la communication-solution est venue page 57
3 – Ibid.
4 – Expertise et démocratie, faire avec la défiance, décembre 2018
5 – 400 communicants publics interrogés dans 50 pays – wpp.com/govtpractice/leaders-report