Construire un langage visuel dans un système complexe
Comment ne pas perdre les publics dans la complexité du système universitaire et des richesses produites ? Pourquoi et comment un langage visuel, un système de représentation(s), peut-il rendre compte de la complexité d’une organisation, expliquer ses missions, faire connaître ses formations, indiquer ses spécificités, faire appréhender ses singularités, partager ses connaissances ?
Une recherche innovante en design graphique, une problématique de communication publique : les deux champs se faisaient écho.
L’université de Strasbourg se compose de… 150 entités. Étudiants et enseignants, visiteurs et invités reconnaissent leurs difficultés à comprendre l’université, ses spécificités, ses productions, son fonctionnement, ses acteurs, ses relations voire ses missions et ses lieux. En 2013, des étudiants et enseignants du master Design ont proposé à l’université d’utiliser le design graphique pour penser des dispositifs de communication visuelle – au sens de mise en relation – permettant aux acteurs internes et externes de découvrir, connaître et comprendre l’université, de s’y repérer, de se l’approprier.
Une multiplicité de représentations hétérogènes
Que disions-nous de nous-mêmes ? Quels effets collatéraux produisions-nous au travers de nos productions graphiques, dans un moment où l’image visuelle occupe une place significative ? Le constat général était celui d’une multiplicité de représentations, particulièrement hétérogènes. Nous produisions nous-mêmes, inconsciemment, notre confusion ! Pour permettre que la communication visuelle révèle l’université, contribue à sa reconnaissance, il fallait une remise en questionnements. Et pour cela passer du ressenti à l’énoncé plus rationnel d’une problématique.
Après cinq ans de fusion, le logotype de 2009 créé pour accompagner la (re)naissance d’une université unique figurait sur la plupart des supports, physiques ou virtuels. Mais figurer ne signifie pas représenter, rendre son objet lisible, encore moins l’institution. Malgré l’existence d’une charte graphique minimale, malgré l’insistance de la gouvernance de l’université pour une communication harmonisée, nous succombions au syndrome « panneau sponsoring » des équipes sportives.
Penser des dispositifs de communication visuelle – de mise en relation – permettant de découvrir et comprendre l’université, de s’y repérer, se l’approprier.
Sans doute le logotype existant ne prenait-il pas en compte la complexité et la diversité de la représentation du système. Chaque entité cherchait à exister au travers d’une représentation visuelle individuelle, sinon individualiste, souvent excluante par abus d’acronymes opaques aux non-initiés. Alors que la vocation de l’université est de produire des savoirs et de les transmettre, les communications ne permettaient pas de les décoder !
Chaque entité cherchait à exister au travers d’une représentation visuelle individuelle, souvent excluante par abus d’acronymes opaques.
Cette « mise au jour » rencontrait une ambition stratégique de l’université : être mieux comprise, rayonner, dépasser ses frontières internes et symboliques, permettre d’appréhender les savoirs produits et la diversité existante. Elle rencontrait une fonction fondamentale de sa communication : mettre en relation, rendre visible et lisible les contenus, faire connaître, avoir accès aux dispositifs et aux recherches pour les partager. Elle rencontrait aussi une intuition issue de ma propre pratique professionnelle depuis vingt ans : la multiplication et la prédominance de solutions « logotypiques » (labels inclus) comme réponse à toute problématique d’identification, ajoutée à l’absence abyssale de complémentarité fond/forme pour réfléchir à un dispositif de communication, ne permettait pas de répondre à la question posée. Sans parler de la pénétration croissante et pressante du marketing dans l’espace public.
Construire un langage visuel sur lequel s’appuyer pour construire une image au service des missions et des usagers, utilisable pour tous sans gommer les singularités.
Une recherche innovante en design graphique, une problématique de communication publique : les deux champs se faisaient écho. La richesse de ce projet réside aussi, me semble-t-il, dans l’originalité de son équipe incluant les trois « communautés » de l’université : étudiants – jeunes diplômés ou stagiaires –, enseignants/chercheurs, professionnels de l’administration universitaire (les « biats », personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens et de santé).
Un contexte, des publics, des contenus, des relations
On peut être et agir dans une entité de formation, de recherche, d’ingénierie sans pour autant se situer dans ce grand ensemble, sans en connaître l’immense richesse… Au détriment de l’efficacité et des potentialités, quand on ignore que des connaissances utiles sont disponibles et à proximité. Au détriment aussi du sentiment d’appartenance, du « commun ». Étudiant, chercheur, administratif, chaque individu est mieux en capacité d’agir quand il sait qui est son voisin, ce qu’il est ou fait, qu’il peut élargir son champ de vision, penser et travailler dans une perspective de projet commun au bénéfice de toute l’université et surtout de ses usagers.
À travers ses acteurs, ses contenus, ses actions – facilitatrice ou excluante, d’excellence ou de banalité – notre institution produit une image. La démarche du design peut ainsi contribuer à inventer un dispositif de représentation adapté à chaque situation, à construire un langage visuel apte à représenter les réalités, à faire comprendre ce que nous sommes, ce que nous faisons, les relations entre les entités ; et surtout à révéler les connaissances produites plutôt que la structure institutionnelle. Un langage sur lequel s’appuyer pour construire une image au service des missions et des usagers, utilisable pour tous sans gommer les singularités. Un langage dont les éléments, les règles, les constituants ont été créés pour faire système dans toutes ses adaptations, sans être dans du copier-coller.
Bien sûr, la représentation visuelle n’est pas toute la communication. Mais elle concourt structurellement à identifier l’émetteur, participe de la notoriété d’un ensemble, favorise le sentiment d’appartenance en interne et permet d’être reconnue en externe. Un langage visuel cohérent permet ainsi aux chargés de communication de concentrer leurs efforts sur les contenus de l’information – pour rendre accessible, motiver, interroger, discuter, changer – plutôt que sur la représentation visuelle : comme tout langage, le système visuel apporte des principes, des règles qui permettent la circulation et la compréhension de l’information, la relation, la discussion, l’échange.
La représentation visuelle concourt à l’identification de l’émetteur, à la notoriété d’un ensemble, au sentiment d’appartenance, à la reconnaissance en externe.
Une co-construction patiente
Dans le cas précis de l’Unistra (acronyme d’Université de Strasbourg) la commande à l’équipe-projet Identités complexes stipulait la nécessité de l’adhésion de la communauté universitaire. On appelle cela l’acceptabilité, car il est illusoire de penser pouvoir faire l’unanimité. Plus de 400 personnes ont été informées ou associées, quatre cas pratiques – et itératifs – ont été utilisés pour étudier l’adaptation du système à certains supports ou contextes aussi bien que pour révéler les circuits de fabrication d’un dispositif de communication visuelle, les freins et les leviers potentiels du changement à opérer. Le système inventé comprend en soi son acceptabilité par le fait même qu’il permet aux acteurs concernés de choisir les contenus textuels ou illustratifs pour les singulariser.
Cette nouvelle forme de représentation réclame du temps, de l’explication, de l’écoute, des essais, des ajustements.
Aujourd’hui, après avoir mis au point les fondamentaux du nouveau langage visuel, l’équipe-projet laisse des éléments du système prendre leur envol, pour expérimenter leur mise en application. La décision de déploiement sur plusieurs années tient compte du temps universitaire et de la nécessité d’accompagner tous les acteurs du changement, de ce besoin d’expérience inhérent à l’être humain. Cette nouvelle forme de représentation réclame du temps, de l’explication, de l’écoute, des essais, des ajustements. Nulle intention de « faire table rase du passé » en un seul jour : l’ambition est de construire les outils de communication et de sensibilisation adaptés et nécessaires à une appropriation à l’échelle de toute l’université, dans les spécificités de chacun. Il s’agit donc d’un système en co-construction. Par le dialogue, par l’expérience.