Comment regagner la confiance, sans arme ni violence
Assaël Adary, co-fondateur et président du cabinet Occurrence, membre du Club des partenaires de Communication publique
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici
«In god we trust, all others must bring data ». Cette phrase d’Edouard Deming, le père des démarches qualité et plus globalement des processus d’amélioration continue, doit nous rappeler que la confiance repose sur des faits. Ce qui n’est pas le cas des croyances qui s’accommodent d’une intime conviction, de la foi, d’une coïncidence.
La dernière campagne du gouvernement sur la vaccination le rappelle très intelligemment : on peut avoir peur, avoir des doutes, on peut palabrer, échanger des opinions, s’invectiver … « On peut débattre de tout sauf des chiffres ». L’eau boue à 100° (sur Terre), on peut débattre sur le fait que 100° c’est beaucoup, c’est très chaud, bien sûr, mais pas sur le fait qu’à 100° le liquide se transforme en gaz ni sur le fait que 100° c’est plus chaud que 40°.
Depuis 26 ans, mon métier me conduit à proposer une vision raisonnée de nos pratiques par l’introduction d’indicateurs, de protocoles d’évaluation, d’objectivation dans tous les processus, en amont et en aval des stratégies de communication. Et je ne peux que valider également la signature de la même campagne en affichage « Il y a des chiffres qui piquent bien plus qu’une aiguille » : la vérité est parfois urticante mais l’esquiver n’aide en rien à progresser.
La mesure écarte de nous le « j’aime / j’aime pas », les « c’est beau / c’est pas beau » qui émanent souvent des personnes les plus incompétentes sur nos métiers mais qui, avec candeur et parfois même avec une honnêteté intellectuelle confondante, ne savent pas appréhender la dimension stratégique derrière une création et encore moins l’ampleur d’un dispositif plurimédia.
La mesure écarte de nous le « j’aime / j’aime pas », les « c’est beau / c’est pas beau ».
Mais aujourd’hui, le métier de communicant se complexifie. Nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité et elle attaque fortement et massivement l’intérêt général et le vivre ensemble. Aujourd’hui, les faits objectifs ont moins d'influence pour modeler l'opinion publique que les appels à l'émotion et aux opinions personnelles. Le « j’aime/j’aime pas » comme GPS global des opinions.
Pour donner un exemple de post-vérité, mot entré dans le dictionnaire d’Oxford en 2016, un Président d’une des plus grandes puissantes mondiales pourrait twitter par exemple « Il gèle et il neige à New York – on a besoin du réchauffement climatique ! ».
La post-vérité contre laquelle je lutte en proposant des approches mesurées, quantifiées n’est pas neuve. Le personnage de Protagoras dans le dialogue éponyme de Platon, incarne déjà la post-vérité. Protagoras est un sophiste qui s’assume, dirait-on aujourd’hui, il assène sa vérité « L'homme est la mesure de toute chose » par exemple. Dit autrement, chaque personne est en soi le thermomètre absolu de la société. Rien ne peut être objectivé, on entre dans une bataille sans fin d’opinion contre opinion, de perception contre perception.
La connaissance est le vaccin absolu contre la défiance.
Pourquoi poursuivre la bataille de la connaissance est-il essentielle pour nos métiers ?
Car la connaissance est le vaccin absolu contre la défiance. La confiance n’est pas une injonction. Demander aux citoyens d’avoir confiance ne suffit pas. « Aie confiance ! » : on en voit le résultat dans Le livre de la Jungle : inefficace et anxiogène, les communicants ne sont pas le serpent Kaa.
La confiance se construit sur des faits, des données partagées, sur la sincérité des messages, et elle est bilatérale. La confiance se partage et s’échange. À nous de bâtir les dispositifs dans lesquels l’institution donne sa confiance à ses parties prenantes avant d’espérer la recevoir en retour.
Fin août, dans le cadre d’une conférence à l’UEED 2021 (Université de l’économie de demain), Olivia Grégoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, disait avec beaucoup d’assertivité « Je n’ai plus envie de croire sur parole, je n’ai plus envie de croire dans des rapports annuels où il y a des jolies phrases avec des belles photos , j’ai envie de tableaux Excel avec des données brutes … accessibles aux citoyens, aux chercheurs aux médias … ». À bon entendeur.
De fait, collectivement, nous sommes sur le bon chemin. Les processus de communication commencent à intégrer plus systématiquement la mesure : on fait, on délivre, on prouve (en quantifiant) puis on ajuste, on corrige, on améliore.
Mais depuis quelques années et ces derniers mois, la mission de pédagogie, de sincérité du communicant du secteur public se complexifie nettement car il doit mener une guérilla contre le faux. Du faux massif, du faux désinhibé, du faux qui s’affiche, du faux qui se sait faux mais qui en criant et en se répétant, pense probablement se transformer en vrai. Le faux a toujours existé mais aujourd’hui il gangrène, il « converge », il fait bloc. Et puisqu’il est consommable plus rapidement et qu’il est plus sexy, il va plus vite et perfore l’opinion plus profondément. L’étude « How lies spread1 » de 3 chercheurs du MIT publiée dans la revue scientifiques Science, nous donne les chiffres de la violence du faux. Ils ont analysé 126 000 contenus sur Twitter, vrais ou faux, et le constat pique : le faux se propage 6 fois plus vite que le vrai. Le faux est beaucoup plus aérodynamique que le vrai dans l’opinion.
Le faux n’est pas simplement un souffle éthéré, il s’incarne pour se donner encore plus de poids et d’aura, et son meilleur ami est le phénomène d’ultracrépidarianisme, mot que le correcteur d’orthographe de Word connaît encore mal, qui désigne l'action de parler et de donner un avis sur des sujets pour lesquels vous n’avez pas de compétences avérées.
La mission de pédagogie, de sincérité du communicant du secteur public se complexifie nettement car il doit mener une guérilla contre le faux.
Chacun trouvera dans l’actualité récente, une multitude d’exemples. À l’échelle de vos sujets, de vos territoires, vous devez également pouvoir faire la liste des experts en tout, donc en rien, qui parlent avec grandiloquence de vos sujets, de vos institutions, parfois avec un véritable écho auprès de vos publics.
La guerre n’est pas équitable, car la connaissance nécessite du temps pour être produite, pour être validée, elle a besoin de temps pour être assimilée, aussi ludique et pédagogique que puisse être le format utilisé. Le faux va plus vite.
La crise de l’usine Lubrizol a été l’exemple même de la nouvelle bataille à gagner. On peut faire la liste d’erreurs de communication des institutions mais force est de constater que les premières photographies et vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sont fausses (elles viennent de l’explosion d’une usine en Chine). Les autorités de santé vont être confrontées à la diffusion d’un faux communiqué de presse du CHU de Rouen invitant à ne pas boire l’eau du robinet (faux très bien réalisé d’ailleurs), puis d’une photo d’oiseaux morts sur une route (en fait une photo vieille de plusieurs années et prise aux États-Unis), puis à un groupe de Gilets Jaunes engagés autour du slogan #mensongedetat. Bref, il ne s’agit plus de défiance, même organisée, il s’agit d’une guérilla du faux. Le communicant agit avec des armes conventionnelles mais doit lutter contre des groupes qui s’autorisent tout.
Solutions
Nous disposons de 3 solutions : nous disposons de moyens techniques, on pourrait même dire balistiques, nous pouvons mieux allouer nos ressources notamment budgétaires pour diffuser et relayer des messages et enfin nous disposons du verbe.
Grâce à nos outils balistiques, unis, massifions le vrai. Dire le vrai ne suffit plus, il faut le rendre assourdissant. Relayons les sources fiables (AFP Factuel pour n’en citer qu’une), assumons chacun notre part de responsabilité mais de manière coordonnée : inventons la guilde du Vrai, les JEDI de la Vérité. Puisque le faux est aérodynamique, optimisons la balistique du vrai. Propageons-le sans arrière- pensée idéologique ou politique. Ensemble nous pouvons rivaliser.
Les communicants ont également une forte responsabilité car ils peuvent orienter leurs budgets et ne pas financer des espaces ou des sites qui propagent le faux ou la haine. Les sites qui publient des fausses informations engrangent 2,2 milliards d’euros de revenus publicitaires2 à l’échelle du monde chaque année. Une grande partie des directions de la communication, du fait de la publicité programmatique (digitale) ou par manque de suivi, ne savent pas où leurs publicités s’échouent finalement. Vérifions et définissons une blacklist ensemble. Refusons que nos contenus se mêlent à des contenus haineux et que nos publicités légitiment des sites nauséabonds.
Le langage clair, c’est un texte qui est compris par 100 % des citoyens à la première lecture.
Enfin, nous disposons d’un autre levier, essentiel, la parole, les mots. Les mots qui composent nos messages, nos discours, peuvent être soit des mains tendues qui améliorent la connaissance, la pédagogie ou être des briques ajoutées au mur de la défiance. Aux antipodes de l’écriture inclusive et son point médiant, utilisons le langage clair, seule véritable écriture totalement inclusive. Le langage clair, c’est un texte qui est compris par 100 % des citoyens à la première lecture. Les Journées Citoyennes de Défense nous apportent un chiffre auquel nous devons nous confronter : 22,5 % d’une classe d’âge de jeunes adultes en France ont des difficultés de lecture ! Améliorons notre accessibilité, car lorsque l’on ne comprend pas, on croit moins l’émetteur. Inversement 81 % des Français déclarent avoir confiance dans les entreprises et organisations qu’ils comprennent bien à l’écrit3.
La défense de l’intérêt général et du bien commun ne suffisent pas pour emporter la confiance. Remettre les faits, les data, les preuves au centre, accompagner l’ensemble par un discours incarné dans une langage clair, voici une première équation gagnante de communication responsable.
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1 - Science, mars 2018
2 - Etude 2021 NewsGuard et Comscore
3 - Etude 2018 Occurrence pour l’agence Avec Des Mots