Climat : de la prise de conscience aux actes. Que peut la communication ?
Emmanuel Rivière, directeur des études internationales et du conseil politique, Kantar Public
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°29 d'octobre 2022 à découvrir ici
Au cours de l'été 2022, la France a connu une série d'événements climatiques exceptionnels, aux effets souvent dramatiques et fortement médiatisés. Quel en sera l'effet sur les attitudes des citoyens et leurs attentes à l'égard des gouvernants concernant l'urgence climatique ?
Sur la compréhension du phénomène, la communication a un rôle majeur mais peut avoir des effets contre-productifs.
La prise de conscience de l'importance et même de l'actualité de l'enjeu était déjà assez établie : en octobre 2021, une étude Kantar Public faisait état d'une préoccupation pour le changement climatique partagée par 87 % des Français, plus forte qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni, et d'un sentiment également très répandu (80 %) que nous subissions déjà, au niveau national, les conséquences du changement climatique.
Ce qui semble davantage en question, c'est la compréhension de la nature du phénomène, d'où découle l'identification des solutions à apporter, du degré d'effort qu'elles impliquent et de la répartition de ces efforts. Sur ces aspects, où les perceptions du public sont plus incertaines, la communication a un rôle majeur à jouer, mais elle peut aussi avoir des effets contre-productifs.
Car la compréhension du phénomène par le public est ambiguë. Certes, en France, (étude Kantar Public, novembre 2021) seulement 5 % des personnes interrogées répondent que le changement climatique est à leurs yeux principalement voire entièrement un phénomène naturel.
Mais, à l'inverse, seuls 14 % adhèrent au consensus scientifique qui attribue « entièrement » le changement climatique à l'activité humaine. Les plus nombreux (53 %) estiment que c'est « principalement » l'activité humaine qui entraîne le changement climatique. Enfin, 28 % adoptent une position ambivalente sur le sujet, présumant que les phénomènes observés sont à la fois d'origine humaine et naturelle. Un quart de la population est donc dans le flou, auquel s'ajoute une moitié pas très assurée dans sa conscience des enjeux. Il est donc capital de traiter cette part d'incertitude qui semble très liée à la manière dont les gens accèdent à l'information et se l'approprient : seulement 27 % des Français considèrent qu'il est facile de trouver une information fiable sur le sujet, et 31 % estiment aisé de se forger une opinion personnelle.
L'incertitude sur la perception de l'enjeu a potentiellement un effet démobilisateur : seuls 46 % ressentent une responsabilité personnelle dans la lutte contre le changement climatique.
Malgré ces incertitudes, le grand public estime faire mieux que les gouvernants : invités en octobre 2021 à noter leur propre engagement dans la préservation de l'environnement et de la planète, les Français s'auto-attribuent une note moyenne de 6,2/10 ; mais ne donnent que 5,4 aux collectivités territoriales, 5 aux autres citoyens, 4,9 au gouvernement et 4,5 aux grandes entreprises ! 77 % se déclarent même fiers de ce qu'ils font actuellement pour la planète !
S'ajoutant au sentiment que les gouvernants n'en font pas assez, l'incertitude sur la perception de l'enjeu climatique et des réponses à y apporter a aussi, potentiellement, un effet démobilisateur, a fortiori si on estime ses propres efforts déjà supérieurs à ceux de ses concitoyens : si 76 % des Français estiment avoir agi pour lutter contre le changement climatique au cours des 6 derniers mois, seuls 46 % ressentent une responsabilité personnelle dans cette lutte. Mais dans les 10 autres pays enquêtés la proportion de citoyens qui se sentent personnellement concernés est plus faible encore.
Les effets du changement climatique de cet été 2022 sur les comportements pourraient se heurter à un écueil bien connu : le sentiment d'être soi-même en avance dans l'effort à accomplir et la tentation d'attendre que les autres s'y mettent pour en faire davantage. Le rôle des pouvoirs publics, à l'échelon national ou local, est donc essentiel : il leur incombe de démontrer qu'ils ne sont pas en retrait par rapport aux citoyens. La tentation reste forte, aussi, de comparer l'impact individuel, infinitésimal, à celui, jugé colossal, des grandes entreprises, souvent soupçonnées de préférer augmenter leurs profits que limiter leur impact environnemental. Beaucoup estiment donc que c'est principalement au niveau des entreprises que les changements doivent se faire - en négligeant un peu ce que représente la somme des efforts individuels.
De multiples actions sont lancées et médiatisées par les organismes publics et privés. Et si trop communiquer dissuadait les gens d'agir ?
En réponse, rares sont les exécutifs nationaux au locaux, les grands groupes qui n'affichent pas leurs efforts de préservation de l'environnement ou du climat, à grand renfort de communication. Mais on peut s'interroger sur les effets de l'exposition quasi permanente des publics à ces engagements de toutes sortes : et si trop communiquer dissuadait d'agir ?
Cette communication contribue sans doute à mettre l'enjeu climatique à l'agenda et donc à l'élaboration d'un consensus autour de la nécessité d'agir. Elle peut motiver les citoyens à se mobiliser davantage : si les puissants et les gros consommateurs font des efforts, alors je peux aussi en consentir. Mais la profusion de messages sur les innovations et les changements mis en place par les organisations n'a-t-elle pas aussi un effet contre-productif ? Abreuvés de messages sur les innovations des organisations, ne risquons-nous pas de nous cantonner dans une forme d'attentisme, remettant à plus tard ce qui serait vraiment coûteux : des efforts, oui, mais des sacrifices ? Dans notre étude d'octobre 2021, parmi les solutions majoritairement considérées comme « très importantes » pour protéger l'environnement, les actions plébiscitées - à part le recyclage des déchets - ne demandent pas d'effort d'adaptation des ménages : lutte contre la déforestation, préservations d'espèces animales, bâtiments éco-énergétiques, suppression des substances polluantes dans l'agriculture et l'industrie. L'enthousiasme est bien moindre pour réduire les voyages en avion, renoncer aux carburants fossiles ou consommer moins de viande…
Des efforts, oui, mais des sacrifices ?
Dans un contexte où le niveau d'information ne dépasse pas beaucoup la prise de conscience du phénomène et de ses effets, où de multiples actions sont lancées et médiatisées par les pouvoirs publics et les groupes privés, il est tentant, plus ou moins consciemment, de se dire que ça va aller, qu'on s'en sortira sans trop de sacrifices. C'est ce que suggèrent nos études : invités à estimer si la réponse au défi climatique passera plutôt par un changement de nos habitudes ou plutôt par des innovations qui permettront de conserver nos modes de vie, près de 40 % des sondés penchent vers la seconde option et 4 Français sur 10 estiment qu'ils n'ont pas vraiment besoin de changer leurs habitudes…
On peut donc s'interroger sur le niveau des efforts que les citoyens sont disposés à produire. Trier ses déchets, lutter contre les gaspillages, accepter des alternatives moins polluantes pour sa consommation ou ses déplacements, y compris à un prix plus élevé : autant de gestes auxquels on peut consentir et que la communication publique peut encourager en mettant en valeur leurs contreparties positives, individuelles et collectifs. Mais il s'agit là d'efforts, non de sacrifices, dont il faut se demander s'ils sont à la hauteur des enjeux.
Faire que les citoyens renoncent à des aspects de leur mode de vie actuel ou désiré sera beaucoup plus difficile, surtout s'ils sont abreuvés de messages vantant des contributions à l'effort de transition - en fait peu significatives – qui donnent le sentiment que nous sommes sur la bonne voie.
Objectifs à atteindre, contribution respective des actions à mener ou à éviter : la communication publique doit mieux faire partager les ordres de grandeur.
Cela invite à s'interroger sur la communication d'acteurs dont le principal objectif est de dresser un catalogue et un bilan flatteurs de leur engagement climatique. Ces messages risquent d'être dissuasifs pour des citoyens mis en tension entre leur volonté d'agir et leurs interrogations sur la nécessité, l'urgence et l'efficacité d'efforts plus douloureux qui demandent de renoncer à quelque chose.
À cela, la communication publique doit pouvoir apporter des réponses pédagogiques pour mieux faire partager les ordres de grandeur, s'agissant des objectifs à atteindre et de la contribution respective des différentes actions à mener ou à éviter. Le public doit aussi être bien informé des ressources mises à sa disposition pour faciliter les changements nécessaires. La mise en œuvre des changements individuels et collectifs répondant aux enjeux climatiques requiert aussi un véritable débat sur la répartition équitable des efforts. Ainsi la controverse sur l'impact environnemental des jets privés, quantitativement minime, a-t-elle une dimension symbolique évidente et un effet prévisible : si rien ne se passe, les citoyens informés de cette inertie seront peu enclins à consentir des efforts douloureux. Quant à la dénonciation du barbecue, pratique éminemment répandue, certains y verront une remise en cause de leur mode de vie, voire de leur identité, les conduisant à saisir tous les arguments possibles pour mettre la question à distance. Si bien que l'effet suscité par la controverse cache la proposition sousjacente : manger moins de viande.
Au-delà de la prise de conscience, nous avons besoin d'un débat qui pose aussi la question de la juste répartition des efforts.
Il est à craindre qu'un débat polémique et rapidement manichéen soit peu propice à l'appréhension des ordres de grandeurs et à la compréhension des contributions individuelles nécessaires. Il convient de se demander si les conditions dans lesquelles les sujets sont discutés accélèrent ou retardent l'adoption des changements indispensables à l'échelle requise. Au-delà de la prise de conscience, nous avons besoin d'un débat performatif sur les multiples aspects de la transition, un débat qui pose aussi la question de la juste répartition des efforts. C'est aux politiques et, en grande partie, aux médias de faire en sorte que ce débat se déroule dans de meilleures conditions. Alors seulement la communication publique pourra aussi contribuer à l'instruire.