La communication publique doit s’assumer comme telle !
Samuel Jequier, directeur général adjoint de Bona fidé, président de l’Institut Bona fidé
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°30 d'octobre 2023 à découvrir ici
Jamais sans doute, depuis les années 80 et le basculement du monde dans l’ère libérale et mondialisée, la communication publique n’a bénéficié d’un espace d’attention aussi favorable dans l’opinion. Pour Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRS, « la crise pandémique comme l’urgence climatique ont réinstallé dans nos esprits la valeur vitale de services publics universels tout comme la nécessité de plans d’investissements publics massifs »1.
En 1999, dans un contexte marqué par la révolution internet, 70% des Français avaient une bonne image du libéralisme, moins de 50% aujourd'hui. 71% appréciaient le terme concurrence, 53% aujourd'hui. Selon les Français, la santé (83%), l'éducation (81%), la gestion de l'eau (79%), la production d'énergie (78%), les transports en commun (76%), la sécurité des biens et des personnes (75%) ou le ramassage des ordures ménagères (71%) doivent être gérés par le secteur public plutôt que par le privé. Le terme service public est désormais connoté positivement par 7 Français sur 102.
La communication publique reste confrontée à une défiance à l’égard de la parole officielle et, particulièrement, politique.
La puissance de la doxa libérale était telle que le privé s’était constitué en référence, en modèle de gestion : process de management, rationalisation des coûts, recherche de rentabilité, importation des codes de l’entreprise, vision des usagers en clients… Ce temps paraît révolu : face à la puissance des intérêts privés, l’opinion est en attente d’institutions et d’acteurs qui servent l’intérêt général ; face à la marchandisation de la société et à l’argent-roi, elle est en demande d’une sanctuarisation et d’une consolidation de « ses » biens communs. Il est donc temps de cesser d’avoir le public honteux ! Là où le privé est désormais soupçonné de purpose ou de greenwashing, le public peut susciter la confiance, parce que sa raison d’être est comprise et crédible.
Le réchauffement médiatique propage chaque jour des milliers d’informations, de données, de rumeurs. Trop de paroles tue la parole…
Mais le retour en grâce du public dans l’imaginaire collectif ne règle pas tous les problèmes. La communication publique reste confrontée à une défiance à l’égard de la parole publique, de la parole officielle et, particulièrement, politique. Parlement, gouvernement, présidence de la République suscitent la défiance de 7 Français sur 10. Et si les collectivités locales, avec la figure du maire, résistent mieux, si les grands services publics (hôpitaux, armée, gendarmerie, police, sécurité sociale, école) se classent en tête du palmarès de confiance3, il reste que des difficultés dans l’accès, l’accueil et les démarches peuvent entamer l’image des services publics.
Recréer du commun, faire de la reconnaissance une clé de réorganisation de l’action publique pour faire vivre la petite République du quotidien.
La communication doit aussi affronter un environnement de fragmentation sociale, de bulles cognitives, de biais de confirmation et d’infobésité : 1 Français sur 2 souffre de fatigue informationnelle, principalement par lassitude à l’égard des polémiques et de l’agressivité du débat public. Cette fatigue engendre du retrait et de l’exclusion : 1 Français sur 5 considère ainsi que l’information ne les concerne plus et que les médias s’expriment dans un langage trop compliqué et réservé à une élite4. Roger Pol Droit et Monique Atlan5 constatent que ce nouveau régime médiatique met en danger notre capacité à produire du commun : « La parole semble en voie de disparition, au moment même où elle prolifère comme jamais. Autrement dit : plus nous parlons, moins nous parlons. La quantité explose, la qualité implose. Saturés de mots, nous en manquons. Leur prolifération automatique nous fait taire, alors même que nous croyons parler ». Ce diagnostic rejoint celui du chercheur Dominique Boullier6 qui alerte sur le « réchauffement médiatique », un régime de « propagation » où des milliers d’informations, de données, de rumeurs parcourent chaque jour les individus. Trop de paroles tue la parole… la communication, à force d’être partout, risque bien de n’être plus nulle part.
La tâche essentielle de la communication publique est bien alors de recréer du commun. Pour restaurer le dialogue et permettre une société apaisée, le politologue Rachid Benzine7 propose le concept de politique publique de la reconnaissance, inspiré de Paul Ricoeur : replacer le concept d’égalité au centre de la relation entre les institutions et les citoyens pour faire vivre la « petite République du quotidien ». « Pour retrouver un climat social respirable, il faut faire de la reconnaissance une clé de réorganisation de l’action publique. Si la défiance à l’égard des institutions est si forte, c’est parce que le premier contact avec les services publics est souvent difficile. Pour recréer l’accès aux droits et le lien citoyen, il faut recréer des sas de dialogue et de proximité qui permettent de sortir de l’image de l’administration débordée, hermétique et frustrante ».
Recréer des sas de dialogue et de proximité pour sortir de l’image de l’administration débordée, hermétique et frustrante.
Face à une opinion qui décrypte les stratégies marketing, au pullulement des fake news et du complotisme, la communication publique doit être sincère et authentique pour être crédible. Finis les sur-promesses, les dénis ou les euphémisations du réel, les messages disqualifiés car décalés par rapport aux expériences vécues.
Face au trop-plein, pour être comprise et crédible, la communication publique doit être sincère, sérieuse, simple et sobre. Et retrouver le temps long.
Les citoyens savent parfaitement que les problèmes sont complexes et sérieux, il faut leur parler sérieusement. Sans frivolité ni effets de manche ou de forme décalés par rapport aux réalités vécues, la communication publique doit être sérieuse pour être crédible.
À l’heure de la fatigue informationnelle, la communication passe par un travail sur le langage. « Ilots urbains », « plans de résilience », nombre de collectivités utilisent un langage administratif et bureaucratique qui éloigne les citoyens. Pour être comprise, la communication publique doit être simple et sortir des jargons.
Belle ambition pour la communication publique : construire une nouvelle éthique de la parole, retrouver le sens de la conversation, veiller à l’élaboration d’un espace de communication commun. Face au trop-plein, au buzz, au clash, trouver une forme de sobriété pour se reconnecter à ses publics. Loin des coups de com’ et des one-shot, retrouver enfin le temps long, expliquer les choix, les projets, leurs avancements, penser le long terme contre l’instantanéité. Pour restaurer le sens de l’action, la communication publique doit s’inscrire dans le temps.
Sincérité, simplicité, sobriété. Trois principes pour une communication publique qui peut désormais s’assumer comme telle.
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1 - Antoine Vauchez, Public, collection Le mot est faible, Anamosa, mars 2022.
2 - Sondage IFOP/L’Opinion/Fondation Concorde, mai 2023.
3 - Baromètre de la confiance du Cevipof, vague 14, février 2023.
4 - Guénaëlle Gault, David Médioni, Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l'information - Fondation Jean-Jaurès (jean-jaures.org), septembre 2022.
5 - Roger Pol-Droit, Monique Atlan, Quand la parole détruit. Éditions de l’Observatoire, 2023.
6 - Dominique Boullier, Propagations, Armand Colin, 2023.
7 - Rachid Benzine La reconnaissance ou la République au quotidien, rapport pour les think tank Thinkers et Doers et Point d'aencrage (pointdaencrage.fr)