Echec de la communication environnementale ?
Guillaume Carbou, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux, laboratoire SPH
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°29 d'octobre 2022 à découvrir ici
Pourquoi la communication publique peine-t-elle à percer le mur du déni écologique ? Une réponse très répandue est que la communication sur les enjeux environnementaux adopterait de mauvaises stratégies en se concentrant sur des messages moralisants, angoissants ou directifs. Ce questionnement nous semble discutable à plusieurs titres.
D'abord, le déni de l'enjeu écologique ne repose pas que sur des problèmes communicationnels : si nous nous réfugions dans l'ignorance et/ou l'inaction, c'est avant tout parce nos conditions matérielles de vie nous y poussent. L'écologique politique (discipline académique qui étudie les liens entre organisations sociales et dégradations environnementales) montre clairement que les individus sont pris dans des réseaux de contraintes qui limitent leur marge de manoeuvre écologique. Contraintes économiques (les commerciaux de chez Renault seraient rapidement remerciés s'ils refusaient de vendre des SUV), géographiques (difficile d'échapper à l'usage de la voiture individuelle dans les zones rurales), ou technologiques (comment vivre sans smartphone quand toute la société se construit aautour des usages numériques ?).
Écologiser nos modes de vie repose sur des changements culturels que peut alimenter la communication. Mais cela dépend surtout de transformations structurelles.
Plus généralement, notre société persiste à nous baigner dans un double discours terrible : il n'y a qu'à sortir dans la rue – ou naviguer sur internet – pour voir à quel point les alertes du GIEC sont constamment démenties par les assauts publicitaires de la fast fashion, des compagnies aériennes et des vendeurs de gadgets énergivores. Que peuvent penser les étudiants qui vont d'un cours de « communication environnementale » sur la catastrophe écologique à un cours de « communication commerciale » où on leur apprend, pour le bien de leur employabilité, à vendre des choses inutiles à des gens qui n'en ont pas besoin ? Dans l'espace public médiatico-politique, pour une Greta Thunberg, par ailleurs tournée en dérision, combien d'hommes et de femmes politiques, d'éditorialistes et de Unes de journaux pour célébrer les diverses formes du business as usual ?
Imputer l'échec de la communication environnementale à ses erreurs stratégiques, c'est ne pas rendre justice aux stratégies gagnantes de ses adversaires !
Bref, notre société « vert clair », saturée de messages pro-environnementaux plus ou moins judicieux, est encore pleinement structurée par la valorisation de modes de vie insoutenables. Dès lors, le choix le plus rationnel pour l'acteur individuel est parfois de sombrer dans le déni, le fatalisme ou l'acceptation des fausses promesses du greenwashing généralisé [Berlan, Carbou, Teulières, 2022].
La sensibilisation et la formation, sont nécessaires car écologiser nos modes de vie repose certes sur des changements culturels que peut alimenter la communication. Mais cela dépend aussi et surtout de transformations structurelles impliquant sobriété de nos infrastructures technologiques, limitation des logiques productivistes et consuméristes, redirection ou fermeture de secteurs d'activités majeurs (l'aéronautique, le béton, la promotion immobilière, etc.), territorialisation des activités économiques et sociales, arraisonnement des oligopoles industriels et financiers, ou encore refontes institutionnelles et juridiques. Des enjeux qui dépassent, de loin, le cadre de la communication.
Un second point invite à une écoute critique envers les discours sur « l'échec de la communication environnementale » : celle-ci n'est ni homogène ni sans concurrence. D'abord, on ne peut amalgamer dans un même jugement les discours institutionnels lénifiants sur les écogestes individuels, le traitement spectaculaire des débats de société autour de l'écologie par les dispositifs médiatiques, le greenwashing des entreprises, et les alertes scientifiques du GIEC, les dénonciations des militants associatifs ou les appels à « changer le système » des marches pour le climat. Surtout, imputer l'échec de la communication environnementale à ses erreurs stratégiques, c'est ne pas rendre justice aux stratégies gagnantes de ses adversaires !
Le diagnostic de l'échec de la communication environnementale s'accompagne généralement de la critique de trois stratégies : le catastrophisme, l'autoritarisme et le moralisme.
Car il ne faut pas oublier que si un discours écologiste conséquent peine à se structurer ou à se visibiliser, cela est largement dû aux contre-feux allumés par les intérêts idéologiques et matériels qui ont dominé la fin du XXème siècle. Les historiens et spécialistes de la communication publique ont largement documenté les stratégies de « fabrique du doute », de greenbashing puis de greenwashing, de diabolisation et de marginalisation politique, [Oreskes, Conway, 2005 ; Vaughn, 1996] et, plus largement, de captation de la sphère d'influence culturelle par un petit nombre d'acteurs puissants au profit de logiques productivistes et consuméristes [voir les textes fondateurs de l'ONG CODE].
Intrinsèquement, l'action politique peut être perçue comme autoritaire ou moralisatrice puisqu'elle vise à délibérer sur les pratiques et les valeurs collectivement acceptables.
Dans un tel contexte, l'écologie n'a pas seulement « échoué à convaincre », elle a surtout été écrasée par ses ennemis. Aujourd'hui, l'on répète que l'écologie doit promouvoir de nouveaux récits engageants, mais il ne faut pas oublier que ceux-ci existent déjà largement dans la presse spécialisée, la littérature et les discours militants. Seulement, ils peinent à faire le poids face au travail de sape d'élites politiques, intellectuelles ou économiques affairées à mettre en garde contre le caractère « mortifère » de la « décroissance » promue par les « khmers verts » qui souhaitent « revenir à l'âge de pierre », ou du moins au mode de vie « Amish ».
Enfin, le diagnostic de l'échec de la communication environnementale s'accompagne généralement de la critique de trois stratégies communicationnelles : le catastrophisme, l'autoritarisme et le moralisme. Ces termes sont plus souvent des catégories politiques, utilisées par les adversaires de l'écologie pour la dévaloriser, que des descripteurs pertinents pour caractériser les phénomènes rhétoriques complexes qui traversent la communication environnementale. Mais la littérature académique regorge d'analyses montrant aussi les indéniables atouts de ces stratégies : les enquêtes sociologiques montrent bien comment les discours catastrophistes, loin d'être systématiquement démobilisateurs ou dépolitisants, tiennent une place cruciale dans de nombreuses trajectoires militantes [Sémal, 2015]. Le « catastrophisme » actuel a également pour lui d'être… vrai : le simple exposé de la situation climatique ou de l'effondrement du vivant sur la planète est légitimement bouleversant. Si ce constat n'appelle pas à une rhétorique permanente de la peur, il ne semble toutefois pas superflu de rappeler régulièrement l'ampleur du désastre en cours. Il s'agit d'un exercice de lucidité, préalable indispensable à une prise de décision pertinente, et d'une piqûre de rappel souvent nécessaire quand l'ambition environnementale tend à diminuer.
Quant au double reproche d'autoritarisme ou de culpabilisation, il est paradoxal : comment faire changer les pratiques si ce n'est par injonction ou persuasion, qui s'apparente forcément à une forme de moralisation lorsque ce sont les valeurs culturelles qui sont visées ? Comment puis-je vous dissuader de prendre l'avion si ce n'est en vous l'interdisant (en faisant pression sur le législateur pour qu'il régule cette activité) ou en vous disant qu'au vu de l'urgence écologique, vous pourriez vous passer de cette pratique et donc en vous culpabilisant ? La difficulté c'est que l'action politique est intrinsèquement une activité qui peut être perçue comme autoritaire ou moralisatrice puisqu'elle vise justement à délibérer sur les pratiques et les valeurs collectivement acceptables.
Dernier point. De nombreuses analyses soulignent combien nos modes de vies sont contraints par les structures sociales : il est donc inutile voire contreproductif de condamner un travailleur précaire rural pour son usage de l'automobile. Mais ces analyses rappellent qu'en matière d'empreinte écologique, les responsabilités, les marges de manoeuvre et les leviers d'action sont différenciés : il est obscène de blâmer les plus pauvres pour leur usage vital de l'énergie, quand les usages récréatifs des moteurs thermiques par des cadres supérieurs sont bien plus condamnables.
Dans l'arsenal rhétorique éclectique de la communication environnementale, les discours anxiogènes conservent une légitimité et une efficacité.
Bref, si les discours anxiogènes ou le shaming ont leurs limites, ils conservent une légitimité et une efficacité qui en font des outils parmi d'autres dans l'arsenal rhétorique éclectique de la communication environnementale. Signer l'échec de la communication environnementale, c'est donc méconnaitre son poids relatif dans les transformations sociétales dont nous avons besoin pour limiter la catastrophe écologique, et d'autre part la responsabilité de tout un ensemble d'acteurs qui ont oeuvré et oeuvrent à contrecarrer les messages écologistes les plus subversifs.
Pour imposer dans les esprits la décroissance énergétique et matérielle, la communication, sous la forme de la culture, des arts et de la communication institutionnelle à son rôle à jouer.
Est-ce là dire que la communication n'a pas de rôle à jouer ? Non. Car parmi les structures sociales qui nous maintiennent sur une trajectoire insoutenable, la structure culturelle est évidemment très importante. Comme on ne cesse de le répéter : nous devons changer d'imaginaires. Nous devons nous extraire des modèles de réussite matérielle qui dominent nos industries culturelles, nous devons apprendre à désirer des vies simples et sobres, nous devons accepter d'en finir avec le fantasme de l'abondance énergétique éternelle. Autre enjeu : nous devrions arriver à imposer dans les esprits un traitement de la question de la décroissance énergétique et matérielle non plus sur le mode de l'hypothèse mais sur celui des modalités. Nous n'en sommes plus à nous demander si nous devrions réduire la production de biens de consommation, mais comment le faire sans fracas social. Sur tous ces sujets, la communication, sous la forme de la culture et des arts, et sous la forme de la communication institutionnelle à évidemment son rôle à jouer. Encore faut-il que la première trouve des financeurs et un public, et que la seconde s'inscrive dans des institutions réellement écologiques.