Communication climatique : 10 erreurs fréquentes
Thierry Libaert, professeur des universités, conseiller au Comité économique et social européen
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°29 d'octobre 2022 à découvrir ici
Depuis des décennies, climatologues, ONG environnementales, pouvoirs et institutions publiques, collectivités territoriales nous alertent sur les risques du dérèglement climatique. Pourtant, les résultats restent réduits et les comportements évoluent peu. Pour progresser, il importe de sortir des discours incantatoires et de nos idées reçues pour prendre en considération les résultats des recherches académiques en sciences de la communication. Nous avons ainsi repéré dix erreurs fréquentes dans le discours climatique actuel qu'il conviendrait d'éviter.
Il n'y a pas de lien automatique entre un objectif cognitif, comme celui d'informer, et un objectif conatif visant à modifier un comportement.
Confondre ce que les gens disent et ce qu'ils font.
Dans le domaine de la transition écologique, les sondages d'opinion annoncent fréquemment une prise de conscience forte des enjeux du dérèglement climatique. L'ennui est que la réponse à un sondage environnemental est marquée par un facteur d'auto-valorisation psychologique qui ne se retrouve pas, ou très peu, dans la réalité des comportements observés. Il est toujours préférable d'analyser des comportements effectifs plutôt que des courbes barométriques.
Le soutien d'une vedette à une cause profite probablement davantage à celle-ci qu'à la cause !
Croire qu'il faut informer les individus pour qu'ils modifient leur comportement.
En communication, il n'y a pas de lien automatique entre un objectif cognitif, comme celui d'informer, et un objectif conatif visant à modifier un comportement. Le fait d'être informé est un préalable nécessaire mais non suffisant à un changement de comportement. Cela a été souvent démontré, notamment en 2008 lors d'une étude menée à l'Université catholique de Louvain : « Les ménages mieux informés sur les enjeux et facteurs du changement climatique ou sur les énergies renouvelables n'agissent pas de manière plus respectueuse de l'environnement. »1
Penser que des petits éco-gestes auront un grand impact.
Les éco-gestes, inséparables de la communication publique sur la transition écologique, sont basés sur un des principes de la communication engageante : nous serions d'autant plus enclins à accomplir des actes importants respectueux de l'environnement que nous commencerions par des actes mineurs comme celui de prendre une douche plutôt qu'un bain, fermer le robinet lors du brossage des dents, éteindre la lumière en sortant d'une pièce. Le constat sur la durée est que les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. D'abord, les éco-gestes même amplement répétés et partagés, souvent effectués dans une simple optique de lutte contre le gaspillage, sont peu efficaces dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et surtout ils ne débouchent pas sur des actions plus importantes. Les effets sont limités et auraient même tendance à régresser.
Imaginer que les personnes les plus sensibilisées auraient le plus faible impact environnemental.
Cette croyance largement partagée repose sur un présupposé un peu linéaire : « Il faut informer pour sensibiliser, il faut sensibiliser pour réduire les impacts. » Il n'y a rien de critiquable dans le souhait d'une meilleure sensibilisation mais en 2019 une étude du Credoc2 a mis en lumière que les personnes les plus sensibilisées à la lutte contre le dérèglement climatique sont aussi celles qui engendrent le plus fort impact environnemental ! Ce constat contre-intuitif est lié au capital économique et culturel : l'impact des équipements électroniques et des voyages plus lointains a tôt fait de réduire à néant l'ensemble des petits efforts quotidiens des catégories les plus sensibilisées.
L'incitation à agir est étroitement corrélée à notre quotidienneté. Le registre distancié de communication est faiblement mobilisateur.
Vouloir amplifier la sensibilisation par le recours aux personnalités.
Pour décupler l'impact des messages, un grand nombre d'institutions et d'ONG souhaitent les voir relayés par des vedettes, Robert de Niro, Pénélope Cruz, Juliette Binoche, Marion Cotillard et bien d'autres. D'un point de vue purement quantitatif, l'idée paraît logique. Si demain Kim Kardashian prend position contre le dérèglement climatique, elle touchera directement ses 300 millions d'abonnés sur Instagram, bien plus que ne pourrait le faire l'obscur président du Giec, le coréen Hoesung Lee. Malheureusement, toutes les études de réception des messages démontrent l'absence d'effets perceptibles puisque ces vedettes sont d'abord perçues comme les représentants d'un mode de vie aux antipodes de celui véhiculé par leur message, comme des symboles d'un système économique basé sur le spectacle et la publicité3. Le soutien d'une cause par une vedette profite probablement davantage à celle-ci qu'à la cause !
La peur attire l'attention mais n'engendre aucun effet comportemental. Elle n'est un levier d'action qu'accompagnée d'un message d'espoir.
Communiquer en utilisant des stéréotypes éloignés.
Une part importante du discours climatique porte sur des éléments éloignés temporellement et territorialement. Les objectifs sont fixés sur des périodes qui dépassent la génération, à l'exemple de celui concernant l'atteinte de la neutralité carbone en 2050 afin de rester sur une hausse de 2 degrés à la fin du siècle. De même, l'illustration la plus répandue pour décrire le dérèglement climatique est celle de l'ours polaire isolé sur un morceau de banquise. Si l'on admet que l'incitation à agir est étroitement corrélée à notre quotidienneté, on concevra aisément que le registre distancié actuel de communication puisse être faiblement mobilisateur.
Recourir à la peur pour espérer changer les comportements.
Constatant que nos modes de vie sont incompatibles avec les enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique, un grand nombre d'individus radicalisent leurs messages en insistant sur l'importance de la menace. Proche du discours collapsologue, l'idée sous-jacente est de lancer une alerte sur l'ampleur des risques et la gravité des conséquences pour notre civilisation. Si la peur attire l'attention, elle n'engendre à elle seule aucun effet comportemental. Elle paralyse et renforce l'inertie. Un message fondé uniquement sur la peur n'entraîne aucun effet et peut, dans certaines conditions, engendrer des effets inverses à celui recherché. Toutes les études scientifiques dans le domaine environnemental comme de la santé publique sont sans ambiguïté en ce sens4. La peur ne peut être un levier d'action que lorsqu'elle est accompagnée d'un message d'espoir et d'une tonalité d'auto-efficacité individuelle à l'action.
Continuer à parler de réchauffement climatique.
Pour Albert Camus, « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. » Or les mots que nous utilisons s'appliquent imparfaitement à la réalité du phénomène. Le « réchauffement », terme le plus employé, renvoie à l'idée que notre planète pourrait voir sa température croître de 2 à 3 degrés d'ici 2100. Au vu de l'amplitude des températures que nous connaissons déjà, cela ne saurait interpeller une large part du public. La réalité du problème réside plutôt dans un « dérèglement » climatique, c'est-à-dire une accélération des événements météorologiques extrêmes. Le sujet c'est l'accroissement des phénomènes de tempêtes, inondations, canicules et surtout de leur intensité.
Plutôt qu'un « réchauffement », la réalité est un « dérèglement » climatique, une accélération d'événements météorologiques extrêmes et d'intensité croissante.
Informer sur un registre technique.
Le discours climatique, sans doute en raison de la part dominante de sa dimension énergétique, se caractérise par l'ampleur des données quantitatives. La lutte contre le dérèglement climatique évolue donc dans un univers de chiffres : accroissement des PPM, tonnes de CO2, températures. Or, en matière de changement, la visualisation est nécessaire car de simples chiffres n'aident en rien à la compréhension. Sans céder à la facilité, il faut comprendre que la pratique du streaming représente l'ensemble des émissions de GES d'un pays comme l'Espagne ou qu'une hausse de 2 degrés pour la planète s'apparente à une hausse de 38 à 40 degrés de la température de notre organisme.
En matière de changement, de simples chiffres n'aident en rien à la compréhension. La visualisation est nécessaire.
Confondre la fin et les moyens.
La question climatique semble s'être focalisée sur le CO2, la réduction des GES et l'atteinte de la neutralité carbone. Or cette question, pour majeure qu'elle soit, ne saurait constituer un objectif en soi. Lorsque Robert Schuman et Jean Monnet lancèrent le 9 mai 1950 la construction de l'Union Européenne, ils parlèrent d'abord de la paix. Lorsque Martin Luther King voulut mobiliser contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, il ne déroula pas le descriptif des inégalités ethniques, il proposa son rêve. Il importe désormais d'ouvrir le chemin vers un nouveau récit, une vision positive qui puisse nous rassembler et nous mobiliser. Le combat pour le climat n'est qu'un moyen au service d'une vision positive du monde qu'il appartient à chacun de contribuer à faire émerger.
Bien d'autres écueils pourraient être évoqués. Il importe ainsi d'éviter les messages globaux moralisateurs et incantatoires, il faut sortir le discours climatique du simple registre environnemental, ne pas focaliser sur la survie de la planète qui s'en sortira toujours mieux que nous. C'est de l'humain qu'il s'agit. Si l'on souhaite réellement progresser dans la lutte contre le dérèglement climatique, il est nécessaire, après avoir reconnu les résultats de la science de la climatologie, de s'intéresser maintenant aux résultats apportés par les sciences de la communication.
Il faut ouvrir le chemin vers un nouveau récit positif qui puisse rassembler et mobiliser. Le combat pour le climat n'est qu'un moyen au service d'une vision positive du monde.
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1 - Françoise Bartiaux, « Does environnemental information overcome practice compartmentalisation and change consumers's behaviours ? », Journal of cleaner production, n° 16, 2008, p. 1176.
2 - Credoc, « Consommation durable : l'engagement de façade des classes supérieures », Consommation et modes de vie, mars 2019.
3 - En ce sens, cf Graeme Turner, Celebrities and the environment: the limits to their power”, Environmental Communication, vol. 10, n° 6, 2016.
4 - Robert Brulle et Kari Marie Norgaard, « Avoiding culturel trauma : climate change and social inertia », Environmental politics, vol. 28, n° 5, 2019.