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La confiance est la force des temps difficiles

Acteurs PAROLE PUBLIQUE nov. 2021

Jean-Marie Charpentier, administrateur de l’Association française de communication interne (Afci)

Jean-Marie Charpentier
Administrateur de l’Association française de communication interne (Afci)

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici

La crise a mis tous les métiers à l’épreuve. Plus ou moins selon les cas et les situations, mais pour certains, en particulier les métiers de la communication, l’incertitude a été une épreuve de vérité professionnelle. En quoi ont-ils été utiles ? C’est à l’aune de l’utilité et de la confiance que nous proposons d’apprécier quelques-unes des transformations en cours.

« Je veux être utile… »

Nous avions laissé les métiers de la communication avant la crise avec toute une série de tensions, voire de dilemmes. Tensions autour des « contenus » et de l’« infobésité ». Tensions autour des modalités encore incertaines de la « transformation digitale ». Tensions autour de la « communication managériale » et de la relation délicate avec les managers de proximité. Tensions autour de la « marque » que certains avaient pris l’habitude de substituer à l’entreprise… La crise a été un révélateur et un accélérateur. Elle a fait vieillir une communication corporate vue d’hélicoptère. Il a fallu revenir au terrain, aux équipes, aux liens entre salariés. Je reprends le propos d’une communicante : « La réalité te ramène au sol ». Dans un contexte de travail chamboulé, la réalité c’était de répondre à des besoins très concrets voire basiques d’information, de mise en relation, de coopération. En somme, relier et refaire entreprise en situation dégradée.

Une crise comme celle-là remet les pendules à l’heure. À tout réduire à une affaire de marques, on en oublierait presque que l’entreprise est un système social, un tissu d’interactions et de relations au quotidien. Une organisation, quelle qu’elle soit, se crée et vit d’abord avec ceux qui la composent. La crise a permis ce retour du réel, ne serait-ce que parce qu’il a fallu s’y confronter dans un travail à distance ou sur site profondément bousculé. Pour assurer une continuité de service ou de production, une véritable mobilisation a été nécessaire pour réorganiser, inventer, en tâtonnant souvent, en bricolant beaucoup. Au passage, on a redécouvert quelque chose de fondamental : travailler, c’est communiquer. Et, disons-le, les communicants internes en particulier ont plutôt bien su faire valoir leur utilité dans cette mobilisation. Tantôt dans les cellules de crise, tantôt en relation directe avec les équipes, ils ont été dans une double proximité aussi bien vis-à-vis des dirigeants que des salariés. L’épreuve a rapproché ces communicants des réalités du travail et de la communication des équipes. En se fondant sur leurs témoignages, la psychosociologue Florence Giust-Desprairies1 a identifié plusieurs plans de leur intervention. Sur le plan symbolique, ils ont permis aux salariés de conserver des repères dans la turbulence. Sur le plan fonctionnel, ils ont contribué à maintenir des activités grâce, entre autres, à l’extension de l’usage du numérique. Sur le plan interpersonnel, ils ont activé les liens de proximité et développé une dynamique de solidarité. Sur le plan des représentations, ils ont tenu compte des différences de situation et de point de vue selon que les salariés travaillaient à distance ou sur site. En résumé, leurs compétences de métier ont pu s’exercer et être utiles tout à la fois pour créer du lien et retrouver du sens.

L’entreprise est un système social, un tissu d’interactions et de relations au quotidien.

Sous différentes modalités, et justement parce que la période était difficile, l'accent a été mis sur les liens à tisser ou à retisser, la force des relations de travail, la parole des acteurs. Certes, les réunions Zoom se succédaient, harassantes à bien des égards, mais le lien a été maintenu, non sans une certaine créativité à laquelle ces professionnels ont contribué. En matière d’information, des lignes ont bougé. D’abord, l’infobésité, la langue de bois et autres éléments de langage passent mal en situation critique. Ensuite, les salariés ont d’autres préoccupations que de trier dans la masse des infos, surtout quand, partout, circulent rumeurs et fake news. L’overdose ajoute de la crise à la crise. D’où un soin particulier apporté à l’information de la part des communicants dans le sens d’une plus grande sobriété et qualité. « Au fond, les communicants ont été plus que jamais confrontés à un travail de traduction, de décantation, de désintoxication, de mise à disposition. Loin d’une logique de perfusion et d’infobésité », constate Vincent Brulois, chercheur en sciences de l’information et de la communication2.

On a redécouvert quelque chose de fondamental : travailler, c’est communiquer.

Autre domaine où leur utilité s’est manifestée, la relation avec les managers. La crise a fait ressortir certaines difficultés des managers de proximité pas toujours à l’aise avec le digital et surtout avec le management à distance. Ils ont témoigné de phénomènes d’isolement. Les nouveaux rapports entre distance et proximité ont interpellé ces managers habitués au contact voire à l’informel (« comment garder sa porte ouverte à distance… », s’interrogeait un manager). Avec d’autres, notamment les RH, les communicants ont eu un rôle d’appui. Appui notamment à la dimension communicante de la fonction managériale qui ne se limite pas à la transmission des messages.

Comment garder sa porte ouverte à distance…

En évoquant cette utilité multidimensionnelle des communicants en entreprise, il ne faut pas cacher les difficultés ou les freins et surinterpréter un positionnement professionnel à partir de l’expérience des derniers mois. Les conceptions instrumentales de la communication interne n’ont pas disparu par enchantement, ni les hiérarchies au sein même du monde des communicants qui, sous influence du marketing, privilégient les projections externes. Il reste que nous sommes face à des crises (pandémie, climat…) qui font croître l’exigence d’une communication utile et pas seulement valorisante et promotionnelle. Quand on est sur l’essentiel, la raison d’être comme les engagements de l’entreprise ramènent à une réalité : c’est l’interne qui nourrit l’externe. Nous venons encore de l’éprouver. Et le principal défi pour tous les métiers de la communication tient à leur capacité dans les temps qui viennent à susciter de la confiance ou tout au moins à s’extraire de la défiance exprimée par le traditionnel : « C’est de la com’ ! ».

C’est quand tout paraît incertain, quand tout est plus difficile que la confiance est le plus nécessaire. Elle l’est pour deux raisons au moins que le sociologue allemand Georg Simmel a rappelées au début du XXème siècle3. La confiance est faite de connaissance, de lucidité par rapport à la réalité et en même temps de croyance, de foi dans l’avenir. Curieux alliage de savoir et d’autre chose qui s’apparente à un pari. Le sociologue considère la confiance comme « l’une des forces de synthèse les plus importantes au sein d’une société ».

C’est sur ce double registre du savoir et de la projection dans l’avenir que les communicants doivent se placer. Connaissance et lucidité avec une information requalifiée avec exigence. Le besoin de savoir, nous l’avons pour ainsi dire tous ressenti dans ce qui nous est arrivé récemment. Nous ne savons pas tout, loin de là, de la pandémie et de ses effets, mais nous savons le risque qu’elle représente, y compris pour demain et c’est déjà beaucoup pour chercher à le réduire. Nous comprenons mieux les relations entre santé et environnement. Dans le travail et l’entreprise, nous avons pris la mesure des transformations subites, de difficultés très concrètes, mais aussi d’opportunités nouvelles. Les communicants ont été au rendez-vous quand ils ont aidé à saisir la situation par la précision des données fournies et leur partage au quotidien. Plutôt que chercher à toujours enchanter le présent par différents artifices, apporter un clair savoir sur ce que l’on sait et le faire le plus sobrement et lucidement est une base de confiance pour les professionnels de la communication. C’est une leçon, me semble-t-il, des derniers mois : retrouver du crédit par une information adressée au plus près des faits et des situations.

Apporter un clair savoir sur ce que l’on sait et le faire le plus sobrement et lucidement est une base de confiance.

Mais la confiance demande aussi autre chose qui a à voir avec l’avenir, la perspective, l'ambition. L’extrapolation vers un futur fonde ou refonde la confiance. On a tous besoin de se projeter, de faire un bond dans le temps au-delà du seul présent, notamment dans la crise. Cela participe, dans nos représentations comme dans l’action, à la réduction du risque et au sentiment de sécurité. Comparaison n’est certes pas toujours raison, mais rappelons-nous les projections audacieuses du Conseil national de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont elles, entre autres, qui ont permis le sursaut de confiance dans une France effondrée. Thierry Libaert, spécialiste de la communication et de l’environnement, rappelait dans une récente tribune au Monde4 combien, face à la crise climatique, il fallait s’appuyer sur l’ambition : « Notre objectif, le seul réellement mobilisateur, est d’atteindre un monde avec un air plus pur, une alimentation plus saine, un mode de vie moins stressant ». Quelle est au fond l’ambition pour faire entreprise demain ? La confiance est la force des temps difficiles. Elle est faite de lucidité en même temps que de mouvement vers un avenir désirable. La communication et les communicants doivent pouvoir se situer sur cette ligne de crête.

La confiance est la force des temps difficiles. Elle est faite de lucidité en même temps que de mouvement vers un avenir désirable.

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1 - Les Cahiers de la communication interne, n°47, automne 2021

2 - Les Cahiers de la communication interne, ibid

3 - Georg Simmel, Sociologie Etudes sur les formes de la socialisation, PUF, ed.1999

4 - Thierry Libaert, L’objectif du discours climatique ne doit pas être la neutralité carbone, Le Monde, 18 août