La confiance, une affaire de tiers
Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, Défenseur des droits
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici
La façon dont les acteurs institutionnels, publics comme privés, semblent courir après la confiance, la multiplication des réflexions, des discours et des débats sur ce thème, voilà autant de signes qui suggèrent qu’il s’agit d’une sorte de trésor perdu. On mesure à quel point on en a besoin au moment même où on réalise qu’on ne sait plus où la trouver. Dès lors, on se promet de la rétablir, de la restaurer, de la retrouver, de recréer les conditions dans lesquelles elle pourra régner de nouveau…
Seulement voilà, la confiance se fait désirer et se garde bien de venir quand on l’appelle : ce n’est bien évidemment pas en demandant aux citoyens de leur faire confiance que les responsables publics parviendront à l’obtenir. La confiance, ça ne se demande pas ; et toutes les tentatives visant à la (re)conquérir, dès lors qu’elles sont visibles comme telles, risquent plutôt de susciter de la défiance.
De ce point de vue, l’ambition de créer un « choc de confiance » traduit, dans les termes mêmes, une forme d’incompréhension à l’égard de ce qu’est la confiance, de sa nature profondément relationnelle et sa nécessaire inscription dans le temps long. En la matière, résumait le philosophe Alain, « il faut donner d’abord ».
Donner d’abord
Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, pour un acteur public, de « donner d’abord » sa confiance, avant éventuellement de pouvoir en bénéficier à son tour ? Il faut se mettre à la place des gens, pour prendre conscience de l’ensemble des interactions qu’ils peuvent avoir avec les institutions, des effets qu’elles peuvent avoir sur eux et de la façon dont cela les dispose. Tel décideur public ou tel responsable de la communication ne voit, par construction, qu’un aspect de cette relation, alors que, pour le citoyen, qui est en même temps un usager de services publics, un contribuable, un assuré social, un parent d’élève et plein d’autres choses encore, l’expérience des institutions représente un continuum. C’est ce qui rend vaine toute tentative isolée de restauration de la confiance, si elle se situe dans un cadre général qui reste dominé par la suspicion et le contrôle.
La confiance, ça ne se demande pas ; et toutes les tentatives visant à la (re)conquérir, dès lors qu’elles sont visibles comme telles, risquent plutôt de susciter de la défiance.
Concrètement, c’est en prenant au sérieux le caractère relationnel du fonctionnement des administrations et des services publics que l’on se donnera les moyens d’accorder toute l’attention nécessaire à leurs usagers, en les considérant, au-delà de la simple prestation de service à destination d’un client plus ou moins captif, comme des interlocuteurs légitimes, adultes, qui ont leur mot à dire sur le fonctionnement de nos institutions.
Donner d’abord ces marques d’attention et de confiance, c’est accepter que l’usager qui est en face de nous ne nous ressemble pas forcément : il n’a pas notre familiarité avec le langage administratif, il a d’autres pratiques du numérique, de l’oral ou de l’écrit, un autre rapport au temps, une autre inscription dans l’espace… et il n’est pas fautif pour autant.
En les considérant comme des interlocuteurs légitimes, adultes, qui ont leur mot à dire sur le fonctionnement de nos institutions.
Vers une culture de la bonne foi ?
Cette démarche suppose un décentrement actif, ce qui ne va pas de soi pour des administrations sûres d’elles-mêmes, qui produisent et appliquent la règle de droit en comptant bien que chacun la comprenne et s’y plie. Mais cette autorité de l’institution, si elle ne veut pas susciter de défiance, devrait bien plutôt se traduire en écoute, en disponibilité, pour se rendre accessible à ceux qui n’ont pas les codes, qui ne cochent pas les cases.
Trop souvent, la numérisation des services publics s’est faite à rebours de cette logique : ceux qui sont à l’aise sont encore plus à l’aise, ceux qui avaient du mal à se repérer deviennent complètement perdus. Et ceux qui n’ont pas rempli leurs obligations dématérialisées sont suspectés d’être des fraudeurs…
En 2018, la loi « pour un État au service d’une société de confiance » (Essoc) introduisait une belle idée, le « droit à l’erreur », dont pourraient se prévaloir les usagers qui n’avaient pas l’intention de frauder mais se retrouvent par négligence dans une situation illicite. Si cette nouveauté a permis, par endroits, de faire évoluer la relation entre administration et usagers, elle est encore loin d’avoir entraîné la révolution culturelle qu’on pouvait en espérer. Trop souvent, la bonne foi n’est pas présumée, le bénéfice du doute ne profite pas à l’usager et ce droit à l’erreur s’applique de façon restrictive. Comment ne pas imaginer que, face à ces réflexes qui perdurent, certains renoncent à faire valoir leurs droits ?
Un dialogue à trois
Dans le même élan, de nombreuses institutions se sont désormais dotées de médiateurs, souvent après avoir sévèrement réduit leur implantation territoriale et fermé des guichets, pour maintenir une porte ouverte aux usagers mécontents. Là encore, cela va dans le sens de l’écoute et du dialogue, et peut donc contribuer à reconstruire la confiance perdue. Mais il y a des conditions à cela.
La médiation doit être à la hauteur des promesses qu’elle fait aux usagers des services publics : ni service-client bis, ni guichet de substitution, elle doit recréer l’espace du dialogue dans lequel les institutions reconnaissent la singularité de chaque situation, apportent une réponse personnalisée à chacun et disposent de marges d’appréciation.
Proche, humaine, gratuite, farouchement indépendante, appuyée sur une expertise juridique, la médiation telle qu’opérée par le Défenseur des droits et par ses 550 délégués constitue une porte ouverte sur les droits de toutes et tous. Et lorsqu’une relation est dégradée, quoi de mieux pour renouer le dialogue que de recourir à un tiers… de confiance !
La médiation doit recréer l’espace du dialogue dans lequel les institutions reconnaissent la singularité de chaque situation, apportent une réponse personnalisée à chacun et disposent de marges d’appréciation.