Les CAF et leurs allocataires : un lien réinventé
La pandémie Covid-19, est, pour les ménages comme pour les organisations, une menace commune...
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°27 de novembre 2020 à découvrir ici.
La pandémie Covid-19, est, pour les ménages comme pour les organisations, une menace commune. Cependant, en fonction du rôle et de la position de chacun, elle présente des défis spécifiques. Pour les CAF, ces défis se sont présentés autour de deux questions principales : comment garantir la continuité des services et des prestations dans un contexte de confinement, et comment répondre aux besoins croissants de ses allocataires confrontés à la fragilisation de leur situation ? Le caractère inédit de l’expérience collective du confinement pose un troisième défi, qui peut être vu comme une opportunité : comment tirer les leçons de ce qui a été mis en place pendant cette période.
Plus de 40 % des allocataires attestent ainsi avoir été contactés spontanément par les caisses.
Afin de bien analyser l’impact de la phase de confinement sur la relation avec les allocataires, et d’anticiper à la fois les besoins en termes de prestations et les souhaits sur les modalités de contact, la Caisse nationale des allocations familiales a confié à Kantar le soin d’interroger des bénéficiaires de prestations, d’abord lors d’entretiens approfondis (18, complétés par 6 entretiens auprès d’agents) puis sous la forme d’un sondage portant sur 1000 allocataires. Dans les deux cas, l’accent a été mis sur les publics présumés fragiles, définis par la nature des allocations qui leurs sont versées1. Il importait notamment de comprendre l’impact du confinement sur les allocataires les plus demandeurs d’accompagnement, qui se rendent dans les espaces d’accueil pour y solliciter l’aide des agents afin d’accomplir avec eux leurs démarches.
L’impact de la crise sur les ménages les plus fragiles
S’il en était besoin, l’étude menée auprès de ces publics a rappelé qu’avant d’être un coup de frein à l’économie annonçant une chute du PIB et de probables plans sociaux, le confinement s’est immédiatement traduit par des conséquences directes sur la situation financière de nombreux ménages. Deux cas méritent d’être distingués. Les bénéficiaires de minima sociaux sans activité n’ont pas, à proprement parler, vu leurs ressources diminuer, grâce au maintien des prestations. En revanche ils ont vu leurs dépenses augmenter. Pour ces personnes, l’absence de cantine scolaire et la charge accrue des repas pour les enfants, ainsi que de multiples dépenses supplémentaires (par exemple les coûts d’impression, de consommables, de « l’École à la maison »), font basculer ces ménages dont l’économie du minimum constitue le point d’équilibre dans une gêne fortement ressentie. À côté d’eux, la crise a frappé de plein fouet les travailleurs les plus exposés, indépendants ou en contrats courts, qui furent les premiers à pâtir du coup de frein sur l’économie avec, les concernant, une perte de revenus et ce malgré les mécanismes de chômage partiel mis en place par le Gouvernement. Pour eux, la bascule, brutale, dans une situation où ils peinent à faire face à leurs besoins est d’autant plus douloureuse qu’ils tendent à s’enorgueillir de ne pas dépendre des aides pour pourvoir à leurs besoins.
L’accueil physique reste une modalité jugée essentielle pour certaines situations.
Une présence rassurante, une attention appréciée
Face à ces publics et à leurs demandes accrues, la continuité assurée par les Caf était non seulement indispensable, mais rassurante, et ressentie comme telle. Même quand rien ne changeait, même quand la continuité des droits était assurée, il était très important de se l’entendre dire, tout comme il était rassurant, lorsqu’il n’y avait pas de possibilité de renouveler sa déclaration, de se voir confirmer que les droits seraient maintenus. Ils l’auraient été dans beaucoup de cas sans la moindre interaction entre les Caf et les allocataires. Néanmoins la présence, rassurante, d’un interlocuteur dissipant les doutes et les craintes fut important pour ces publics. Or dans un grand nombre de cas les Caf ont été proactives. Plus de 40 % des allocataires attestent ainsi avoir été contactés spontanément par les caisses, le plus souvent par courriel, mais parfois aussi par téléphone. Appréciée par les agents comme une manière d’accomplir pleinement leur mission en période de crise, relevée par certains bénéficiaires comme une heureuses surprise, cette démarche d’aller vers les allocataires a permis de modérer l’impact de la fermeture des lieux d’accueil physique. Si bien que seul une personne sur six, interrogée lors du sondage auprès des allocataires, signale une dégradation de la qualité du contact avec la Caf. Cette démarche proactive a aussi donné le sentiment aux allocataire interrogés d’une prise en compte plus personnalisée de leur situation. Globalement, au cours de cet épisode, les Caf sont apparues, pour une large majorité des interviewés, à l’écoute, réactives, claires et capables de proposer des solutions.
Les « tours des droits » téléphonique ont été l’occasion de s’apercevoir que certaines aides étaient méconnues ou que la possibilité d’en bénéficier était ignorée.
Des pratiques nouvelles, qu’on voudrait voir pérenniser
Le contexte a demandé beaucoup d’adaptation de la part des caisses, de l’agilité aussi et de la souplesse vis-à-vis des allocataires. Ils ont pu à cette occasion expérimenter de nouvelles modalités de mise en relation avec leur caisse : mise à disposition de formulaires pour des démarches qui n’étaient pas dématérialisées avant le confinement, possibilité de transmettre un document par courriel à une adresse générique, possibilité pour le conseiller de saisir la déclaration trimestrielle sous la dictée du bénéficiaire.
Les témoignages recueillis par Kantar établissent que lorsqu’elles ont été utilisées, ces options ont bien fonctionné représentant une facilitation des démarches et l’assurance pour les allocataires du bon avancement de leurs dossiers, tout en étant un gain de temps indiscutable selon les conseillers. Parmi les allocataires qui habituellement se rendaient dans les accueils physiques (un peu moins de 15 % parmi les publics « fragiles ») 4 sur 10 déclarent, à la lumière de cette expérience, qu’ils privilégieront à l’avenir un autre mode de contact. Cependant l’accueil physique reste une modalité jugée essentielle pour certaines situations (faible maîtrise des outils numériques ou de la langue française, difficulté d’accès à internet) ou pour les cas les plus complexes. 17 % des allocataires les plus « fragiles » (RSA, prime d’activité, AAH, ASF) s’étant déclarés gênés par la fermeture des accueils physiques.
Des enjeux de connaissance et de perception
Cette étude sur le retour d’expérience des allocataires met aussi en lumière une autre nature de difficultés qui pèsent sur l’accès au droit : celles qui relèvent à la fois de la méconnaissance des prestations et des moyens d’y accéder, et des a priori qui pèsent sur ces démarches. Si plus de 70 % des publics dit fragiles ont entendu parler des primes exceptionnelles de solidarité, plus de la moitié ignoraient que l’impossibilité de faire sa déclaration trimestrielle n’entraînerait pas la suspension des droits. Les « tours des droits » effectués lors des entretiens téléphoniques pratiqués par les conseillers ont été appréciés, ils ont aussi été l’occasion de s’apercevoir que certaines aides étaient méconnues, ou que la possibilité d’en bénéficier était ignorée. En outre, les témoignages recueillis auprès des allocataires ont révélé que les Caf n’étaient pas identifiées spontanément comme des interlocuteurs à qui s’adresser dans des situations d’urgence.
À ces obstacles liés à la connaissance s’ajoutent des enjeux d’image et de postures. Les entretiens menés auprès des allocataires actifs mais dont l’activité professionnelle a été affectée par le confinement ont été révélateurs : pour ces personnes qui tout à coup basculent dans la précarité, il demeure une réticence à activer certains droits, comme si c’était incompatible avec l’image qu’ils veulent avoir d’eux-mêmes.
La période du confinement ouvre un certain nombre de pistes sur le fonctionnement des structures, les potentialités de la dématérialisation et la manière de réserver aux publics les plus en difficulté l’accompagnement dont ils ont besoin.
Cette étude révèle que, comme dans beaucoup de secteurs, la période du confinement n’a pas été simplement une parenthèse inédite, mais un accélérateur de transformations. Elle ouvre un certain nombre de pistes sur le fonctionnement des structures, les potentialités de la dématérialisation et la manière de réserver aux publics les plus en difficulté l’accompagnement dont ils ont besoin. Elle pose aussi un certain nombre d’enjeux de communications, montrant pour les Caf l’importance de mieux faire connaître l’ensemble des modalités de contacts pour fluidifier les démarches, ainsi que leur rôle dans l’accompagnement des situations d’urgence. Les témoignages des allocataires et de l’interne soulignent enfin que la branche famille dispose d’une ressource de communication précieuse : son réseau et ses agents qui, à travers la relation qu’ils entretiennent avec les allocataires, transmettent les valeurs de la Caisse nationale des allocations familiales.
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1 - RSA, PPA, AAH, ASF, APL, ALS, ALF