La communication interne dans la crise entre action et projection
Nous traversons une crise à tous les sens du terme, c’est-à-dire une période à la fois pleine de dangers et d’opportunités.
Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°27 de novembre 2020 à découvrir ici.
Nous traversons une crise à tous les sens du terme, c’est-à-dire une période à la fois pleine de dangers et d’opportunités. Cela s’est vérifié pour toutes les fonctions de l’entreprise qui ont eu à faire valoir leur apport dans cette période délicate. La communication interne n’y a pas échappé, confrontée à la fois à l’urgence, au besoin de continuité de service et à la préparation du lendemain. Les enjeux qu’elle affronte, notamment les mutations du travail, contribuent à la transformer.
Cette crise nous a montré combien le travail lui-même est fait de communication.
La crise a confirmé le double rôle des communicants internes, d’une part la dimension information et d’autre part la dimension relation, lien social. En matière d’information, le besoin de sobriété a prévalu. Plutôt qu’une profusion de messages, dans ce moment difficile on attendait des communicants précision et clarté pour favoriser la connaissance exacte de la situation. Ils ont dans l’ensemble plutôt été dans la retenue, loin d’une pure logique de « contenus » qui nuit aussi bien à la clarté qu’à la connaissance. L’infobésité dans la crise fait encore plus de dégâts qu’en temps normal, on l’a bien vu avec les chaînes d’information en continu. Quant à la relation et au lien, la crise a révélé un grand besoin d’attention et de souci de l’autre. Avec une double dimension individuelle et collective, qu’il s’agisse des salariés intervenant sur site en pleine pandémie, des salariés dispersés en télétravail ou de ceux mis en chômage partiel. Au côté le plus souvent des managers, les communicants ont eu à prendre soin des salariés. Écoute, facilitation de l’expression du ressenti de la crise, enquête de proximité… Malgré des difficultés bien réelles, les communicants ont été au rendez-vous. Prendre soin des salariés, des collectifs quand tout bascule dans la crise, cela fait partie de la fonction sociale de la communication. Cela a redonné, s’il le fallait, de la densité au métier.
Ces professionnels qui interviennent souvent à bas bruit ont cherché dans la période la bonne distance de communication. Le travail change, les phénomènes de désintermédiation jouent à plein, mais cette crise nous a montré combien le travail lui-même est fait de communication et pas seulement de transmission. Le défi de la communication interne se joue de plus en plus au cœur du travail dans toutes ses dimensions, y compris quand il se fait à distance.
Vers un rééquilibrage de la communication
L’épreuve présente et l’avenir qui se dessine conduiront à rééquilibrer le système de communication en entreprise. Il était encore jusqu’il y a peu très orienté réputation et contenus. Une communication pour une large part désincarnée. La crise a ramené avec force la dimension relationnelle et, pour tout dire, humaine de la communication au cœur du travail. Une dimension trop souvent reléguée derrière, loin derrière, les approches gestionnaires, la politique des nombres et l’administration des choses. Le retour de l’attention à l’autre dans la crise s’apparente au retour du réel. D’où le besoin de rééquilibrage du système de communication quand se profilent de nouveaux modes de travail qui reconfigurent les unités de lieu, de temps et d’action. On a bien moins besoin d’image et d’éléments de langage que de relation au quotidien.
Un nouveau rapport entre distance et proximité
Le télétravail se développe. Nous en avons les outils et, pour des raisons économiques, les entreprises vont réduire les surfaces de travail et les bureaux. Cela demandera de revoir la question des équipes avec leurs rites, leurs rencontres et leurs échanges. Plus on est distant, plus la question de la proximité va revenir en force. Il y a toujours un moment où il faut se voir, se rencontrer physiquement, de personne à personne dans un groupe. Avec en particulier des espaces de discussion dans le travail pour pouvoir gérer, anticiper les problèmes. À défaut, on laisse les salariés distants seuls, ou presque, régler dilemmes ou arbitrages. Ne pas être isolé au travail, pouvoir faire équipe : tout salarié doit pouvoir être soutenu, c’est-à-dire s’inscrire dans un collectif, un réseau, une organisation. Comme tout salarié, le télétravailleur doit bénéficier d’appuis. Appui de l’équipe, appui du manager. Bref, il doit être « équipé » et pas seulement sur le plan informatique.
On en a fini avec le discours sur « la fin de la communication interne ».
Les managers de proximité premiers acteurs du lien social
Dans le monde qui vient, certains pensent peut-être pouvoir réduire le rôle des managers dès lors que, par un curieux renversement de perspective, le salarié est considéré comme un « entrepreneur de soi ». Si, au contraire, on veut réduire l’isolement que crée de fait un travail à distance, rien ne remplacera le rôle des pairs et des bien nommés managers de proximité. Le défi pour eux est de faire en sorte que la distance permise par les outils de communication ne fasse pas perdre de vue l’essentiel, à savoir les relations entre les personnes, toutes les personnes. Une des révélations de cette crise a été la montée des inégalités entre salariés, entre ceux du « front » et ceux de « l’arrière ». Dangereuses inégalités à vrai dire si elles perdurent. Dès lors que l’entreprise demeure un lieu de rencontre sociale, les managers ont un rôle-clé dans la régulation du travail comme dans la communication. C’est à eux entre autres qu’il revient de « faire société » en entreprise.
Le sens et l’utilité sociale
Le sens en entreprise et dans le travail a beaucoup à voir avec l’utilité sociale. Utilité sociale de l’entreprise. Utilité sociale des métiers. On a vu combien cette notion a été centrale dans la crise, de même que la notion de service, qu’il s’agisse du service public hospitalier ou des services à la population. Ce qui a été frappant, c’est la mise en visibilité de services ou de métiers qui étaient devenus invisibles, alors qu’ils sont essentiels pour notre quotidien. Il y a un enjeu fort à « capitaliser » sur l’engagement professionnel qui a été assez exceptionnel de la part de nombreux salariés. Cela passe par la reconnaissance. Un vrai défi, car la reconnaissance est à plusieurs détentes (financière, symbolique, professionnelle). Le sens est une affaire plus concrète qu’on ne le pense souvent. Les communicants internes ont un rôle à jouer, à la fois par la mise en valeur des métiers et par le recueil d’expressions et de paroles professionnelles au cœur des équipes.
Une chose est sûre : on en a fini avec le discours sur « la fin de la communication interne » qui revenait comme un marronnier ; par ailleurs, la logique selon laquelle la communication interne n’aurait d’avenir que du côté de la « fabrique des contenus » se trouve assez largement démentie par les événements récents au profit d’une approche socialement plus dense dans les transformations en cours. Il reste aux communicants internes à tenir le cap de ces rendez-vous. Pas seuls, car les managers ont un rôle-clé dans la régulation du travail comme dans la communication avec les équipes. Communicants et managers auront notamment à s’adapter ensemble à une alternance qui va croître entre proximité et distance, en inventant des formes de lien et des rituels de communication.